Société

Kwen pawòl lib : le nouvel espace alternatif de discussion lancé par Kafounews à Carrefour

Les affrontements entre gangs rivaux dans la région métropolitaine ont engendré des déplacements (forcés) massifs de citoyens de toutes les couches sociales. Un état de fait qui a des répercussions sur le cours de la vie, influant notamment sur la fermeture forcée des rares espaces où les jeunes qui s’intéressent aux choses de l’esprit pouvaient se rencontrer et discuter. Voulant maintenir cette lueur de l’espoir et combler le vide immense engendré par la situation, Kafounews lance "Kwen pawòl lib", un espace alternatif de discussion à Carrefour. La première sortie a été une réussite. De nombreux jeunes étaient présents malgré le contexte d’insécurité. Ils ont activement participé à l’intervention du docteur en Sociologie et professeur à l’Université d’État d’Haïti Franck Séguy qui se déroulait autour du sujet: "batay politik nan mitan kriz sosyal la an Ayiti : yon refleksyon sou konjonkti a". Le professeur Franck Séguy, dans ses propos, a montré la nécessité d’étudier de façon critique la formation sociale haïtienne en vue de dégager une compréhension éclairée de la crise sociale à laquelle le pays fait face. En d’autres termes, pour mieux cerner le mal qui ronge le présent, il nous faut, selon les propos du professeur, une prise en compte de notre passé historique. En ce sens, il faut remonter cette situation de crise au début du XIXème siècle haïtien (1806), comme période fondamentale. Avec l’émergence de deux modèles pour (l’avenir et /ou) la gestion politique du pays fraichement libéré : un modèle dépendant représenté par les classes dominantes du pays et un modèle autonome représenté par les bossales qui sont majoritaires et marginalisés. Pour asseoir leur autorité, les tenants du premier modèle en complicité avec l’international communautaire s’engage dans une lutte systématique contre les masses populaires qui leur opposent une résistance farouche sous diverses formes et ce, depuis toujours. Selon le docteur Séguy, l'international communautaire est un concept propre à Jean Anil Louis Juste, un penseur haïtien, pour désigner la prétendue communauté internationale où ce sont pour la plupart les anciens pays colonialistes qui fixent les règles du jeu dans leurs intérêts propres et les violent quand ça leur va au gré des circonstances. Le professeur Franck Séguy, dans son exercice de diagnostic, soutient que toute analyse de la situation critique actuelle du pays qui se veut complète doit prendre en compte à la fois les facteurs internes et externes. En ce sens, il a fait mention de cinq éléments pour comprendre les relations de la République d’Haïti avec l’international quelques temps après son indépendance politique jusqu’à nos jours. Les puissances impérialistes telles que la France, l’Allemagne, l’Angleterre et les États-Unis se sont lancées dans une course acharnée pour le contrôle de l’espace géographique d’Haïti ; pour savoir qui d’entre elles allait libéraliser l’économie de la première République Noire ; pour la prise du contrôle du commerce interne et externe de ce pays ; pour la question de la dette de l’indépendance d’Haïti ; enfin par ce que Haïti était /est considéré comme une anomalie pour l’ordre mondial établi. Les échanges entre l’intervenant et l’assistance ont été sans conteste fructueuses. Chaque question posée traduit résolument l’intérêt des participants pour trouver des réponses appropriées aux problèmes ponctuels de leur pays. Le sociologue Franck Séguy, tout en évitant de considérer ses propos comme des recettes magiques, voit dans l’éducation le véritable pilier pour sortir Haïti de cette longue crise. Une position que l’homme de science défend en mobilisant de nouveau l’histoire. En mars 1860, la formation des jeunes haïtiens, donc l’avenir du pays, a été confiée à des prêtres jésuites, citoyens de l’ancienne métropole française vaincue. De toute évidence, le système éducatif haïtien n’a été conçu que pour former des intellectuels colonisés, individualistes de surcroît. Un système formaté de toute pièce pour renforcer l’inégalité sociale en Haïti. Face à cette réalité, le chercheur Séguy dit qu’il faut non seulement former les jeunes haïtiens et haïtiennes, mais encore, il convient de former ceux qui seront engagés comme éducateurs à cet effet. Ce processus est lent certes, mais efficace pour avoir le /la nouveau / nouvelle/homme/femme haïtien.ne, moteur.trice du changement social d’Haïti, a laissé croire le professeur-écrivain Franck Séguy. Sans langue de bois, on peut dire que la première sortie de "Kwen pawòl lib" a été un succès total. La salle était entièrement remplie de jeunes venus de différents quartiers de la commune de Carrefour. "Kwen pawòl lib" est cet espace qui donne aux jeunes l’accès de prendre la parole librement, une parole critique et non-censurée qui peut contribuer à l’avancement de la pensée critique, selon ce qu'a laissé entendre le sociologue Jackson Lafleur, l’un des tenants de ladite initiative. Notons que "Kwen Pawòl Lib" a lieu chaque deuxième et quatrième jeudi du mois. Jameson Marcelin (Jamar) *Cette publication s'inscrit dans le cadre de la restitution de l'atelier d'écriture journalistique réalisé les 29 et 30 mars 2024.

Société

Carrefour: ACTIF vole au secours des candidats aux examens officiels

Ces dernières années en Haïti, les écoliers n’arrivent pas, malgré eux, à boucler en toute quiétude le programme scolaire élaboré par le Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP). Cependant, les élèves de neuvième et de SIV auront à subir une épreuve officielle. L’insécurité régnant en maître des lieux, la fermeture de la plupart des écoles de la zone métropolitaine de Port-au-Prince, la situation de déplacement forcé des milliers de familles, la fuite des professeurs compétents à l’étranger, les problèmes psychosociaux y afférents sont, entre autres, les causes majeures empêchant le bon fonctionnement des écoles dans le pays. Un état de fait ne jouant pas en faveur des élèves candidats aux examens officiels. Que faire? Consciente des difficultés auxquelles font face les élèves, l'organisation Action Communautaire de Transformation et d' Intégration Formelle (ACTIF) s'active. Elle organise gratuitement des cours de rattrapage en week-end à l'intention des élèves de 9e année et de NSIV à Carrefour dans le cadre d'un projet baptisé "Programme d'Accompagnement Pédagogique aux Élèves Candidats aux Examens Officiels". S'étendant sur une période de cinq mois, les séances débuteront le samedi 20 avril prochain à compter de 2h pm. Contacté par la rédaction de Kafounews, Abdias Louis, le coordonnateur du projet, s'exprime sur le bien-fondé de l'initiative. "Nous réalisons ce projet en vue d'offrir des cours aux élèves haïtien.ne.s en classes d'examen pour les aider à combler certaines lacunes causées par les interruptions dues aux crises", dit-il. Des cours qui auront lieu au Nouveau Collège le Bon Berger (NCBB) à Arcachon 34, précise-t-il.

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Chedlet Guilloux!

Je suis sur le sol africain, une grande première, à Libreville, invité à l’ENS pour un colloque international autour du thème : « Les savoirs ancestraux: transmission et sauvegarde ». Ma communication, appréciée des collègues de l’assistance, portait sur la présence africaine en Haïti et la manière dont les savoirs et valeurs ancestraux étaient systématiquement mis entre parenthèses au XIXe siècle en Haïti. Des moments qui peuvent me procurer une certaine joie de vivre : accomplir, par exemple, un acte d’intelligence qui élève. Je n’utilise internet qu’à l’hôtel pour rester connecté à mes proches. En entrant d’une excursion dans l’une des plus riches forêts d’Afrique où j’ai profité de me plonger dans une cascade pour me rafraîchir ce samedi 30 mars 2024, j’ouvre mon facebook. Ton image et une légende triste l’accompagne m’informant de quoi ta vie n’est plus le nom. Je ferme le téléphone. Je le rouvre. Information sérieuse, vérifiée sur des groupes d’étudiants et d’universitaires. Je me sens très mal, le moins que je puisse dire. J’ai eu peur pour ceux, aussi engagés que toi, qui respirent encore aujourd’hui dans le pays. Puis montent en moi les quelques traces de la BJL ( bibliothèque Justin Lhérisson) qui tiennent encore ma mémoire vive d’une époque d’école classique, où mon insouciance s’estompait déjà dans la construction de mes sensibilités du réel, de mon réel, de nos réels. Tu étais au Lycée Louis Joseph Janvier la promotion de mon cousin Mackenson Paul (1987-2023), décédé, si jeune comme toi, à seulement 35 ans en juin 2023. Il me le confiait lorsque tu disais un poème avec maestria sous les regards d’un public divers et varié, non sans la présence de l’incontournable Lesly Giordani, paix à sa généreuse âme. Je ne me souviens ni du titre, ni des mots, mais tout était beau; ça donnait du frisson; ça bousculait les passions et activait de nobles émotions. Tu étais applaudi dans la grande-petite sale de lecture, aménagée pour spectacle cet après midi d’une année dont l’exactitude m’échappe. Je devais être en troisième, et toi en rhétorique, je crois. J’écris ces mots à l’occasion de ton décès, et non de ta disparition parce que tu ne disparaîtras jamais, pour rappeler un moment spécifique que sans doute tu aurais pu oublier parce que je ne crois pas qu’elle ait eu la même importance pour nous deux. Tu étais étudiant à l’Enarts ou à l’ENS ou les deux, je ne savais pas ; et j’étais élève en rhétorique. Tu étais athée, je crois, ou ancien croyant ; et j’étais protestant, zélé. Tu étais passionné des grandes idées politiques et philosophiques, tu utilisais particulièrement le théâtre pour les incarner ; et moi je lisais des trucs de philo avant même d’atteindre ce niveau scolaire. Mon cœur était épris d’un amour fou pour les saintes écritures mais mon esprit se délectait aussi d’autres textes qui pouvaient l’élever vers d’autres univers, d’autres imaginaires.