Une journée de lecture pas comme les autres

Une journée de lecture pas comme les autres

J'avais un grand besoin de lire. Telle une grande soif après avoir escaladé des dizaines de mètres d'altitude sous un soleil de midi, cela me tiraillait. Je lis pratiquement chaque jour pourtant. Mais, depuis quelques temps, je lis par intermittence. Je suis souvent obligé de mettre sur pause la lecture du moment pour animer un atelier, planifier un projet, faire une affiche, regarder un film, jouer au domino "chen kanpe Kay Jèn Yo", tant d'activités qui me rendent nostalgique du lecteur boulimique que j'étais dans mes vingtaines. Je pouvais lire un roman en entier et entamer un autre en moins de 24 heures. Je me rappelle encore les plaintes de ma mère quand j'utilisais la lampe torche de mon "ede m peze" pour lire tard dans la nuit et parfois jusqu'à l'aube. C'est à ce moment-là que j'ai rencontré Victor Déliot - personnage de La Brute de Guy des Cars, brillant avocat méconnu qui m'a donné une sacrée leçon de patience, d'assiduité et d'humanité. J'avais rencontré également Dieuswalwe Azémar - personnage de plusieurs romans de Gary Victor dont Saison de porcs, Dieuswalwe avec deux "w" comme il aime à le préciser. Ce personnage prophète m'a ouvert les yeux sur la véritable personnalité de nos dirigeants. Des fils de p*.

J'avais un grand besoin de lire. Toute une journée de lecture pour noyer mon chagrin. Mon oncle André Louis vient de mourir. Une très longue maladie courageusement supportée. Il se regardait partir à petit feu. Il se montrait stoïque mais, au fond il était triste. Peut-on être fort devant la fatalité ? Ce qui doit arriver arrivera, on fait avec. Mais fort, pas vraiment ! Mon oncle est parti avant même de pouvoir revenir au pays après plus de neuf (9) ans. Ce pays qu'il aime tant. Sans pouvoir regarder Roulado de la Gonâve (re)jouer en première division. Ça fait tellement longtemps que son équipe de coeur peine à retrouver ses marques du temps de, Jean Webert Ménélas, l'un des plus grands butteurs de l'histoire du football haïtien.

Pour assouvir cette soif, j'ai organisé par le biais du Cercle de lecture et d'écriture (CLERE), une journée de lecture baptisée: "Yon jounen, yon liv". C'était le vendredi 26 septembre 2025. Une matinée sombre, sans soleil. Je me suis levé de très tôt. Je ne devais pas être en retard. La lecture est une affaire sérieuse. À peine arrivé, j'entame la discussion. Une vraie discussion ponctuée de tensions. Par moment, j'ai failli cogné très fort sur la tête de Tolstoï. Méchant auteur! Il fait trop souffrir Ivan Illich. Illich c'est mon oncle. Je faisais corps avec le personnage. Il souffrait beaucoup, mais il est resté gentleman. Élegant. J'ai failli pleurer à plusieurs reprises. Ivan souffre. Sa famille fait la fête. Dégueulasse !? C'est la vie. Elle doit continuer après nous.

Une journée de lecture pas comme les autresBernard... le moine.

Nous étions plusieurs ayant pris part à cette journée. Médaus, Vanessa, Bernard, Duval, Ge, Filozòf la, Jackenson et moi. Chacun dans un coin. On ne lit pas tous de la même manière. À chacun sa posture de prédilection. Dany aime lire couché. Moi, les deux pieds sur une chaise. Benard avait l'air d'un gros bonnet. Lunettes bien ajustées, les pieds croisés. Un intellectuel dans son cabinet. Ge - un drôle de nom, j'aime l'appeler "Yeux" pour le taquiner - il lit comme un moine, calme, serein, droit. Vanessa, souriante comme d'hab, prenait de mini pauses de temps en temps comme pour digérer le contenu de sa lecture. Médaus, lui, est toujours en désaccord avec les auteurs. C'est lui le champion de la prise de notes de la journée.

-C'est fini !, dit quelqu'un derrière son chevet.

Il entendit ces paroles et se les répéta : « Finie la mort... La mort n’existe plus ! » se dit-il.

Il fit un mouvement d’aspiration, qui demeura inachevé, se raidit et mourut.

-Fin de la lecture-

Je respirai bruyamment, comme délivré d'un poids lourd en fermant le livre. Il était 5h pm environ. Oui, je confirme l'affirmation de Montesquieu :" je n'ai jamais eu de chagrin qu'une heure de lecture n'ait dissipé".

Une journée de lecture pas comme les autres

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Blondy Wolf Leblanc (Gabynho) 121

Mémorand en psychologie à la Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti (FASCH-UEH), Gabynho est un acteur culturel très influent à Carrefour où il initie et coordonne "Festival Liv Kafou", "Semèn Jèn Ekriven Kafou" et "Week-end Poétique".

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4 Commentaires

  • Anthony Guerrier

    October 30, 2025 - 09:41:01 AM

    Et moi, je t’ai lu ce matin, alors que le soleil reprend possession du ciel. La journée ne sera plus morose pour ce petit bout d’île. La gifle de ta lecture m’a fait son semblable.

  • Godson Jean baptiste

    October 30, 2025 - 11:46:12 AM

    Très intéressant!

  • Steeve Junior René

    November 01, 2025 - 09:29:58 AM

    L'écriture est le fruit de la lecture. Pouse bourik lan pi lwen.

  • Deshommes Luckenson

    November 01, 2025 - 03:24:08 PM

    Vous n'êtes pas seul a avoir haï ce Tolstoï de l'Ivan Ilitch. Mon cœur s'en était altéré aussi. J'ai dés-aimé cet auteur qui tuais d'une mort lente mais certaine cet ''homme comme il faut''. Mais à la fin mon désaccord s'est terminé par une leçon. Car c'est cette vie ''comme il faut'' qui constitue la vraie mort de Monsieur Ilitch. Une vie qui ne valait pas la peine d'être vécue. C'est une vie non-vecue.