Cela fait des années que j'écris, mais même si tu as toujours été la plaque tournante de mes œuvres, le sine qua non de mes projets littéraires, je n'ai jamais pris le temps de t'adresser quelques mots. Peut-être parce que j'avais peur que d'une quelconque manière tu puisses me répondre ou plutôt, je ne savais pas quoi te dire. Alors aujourd'hui, bravant ma peur et voulant te parler en toute franchise, je décide de t'écrire.
Je veux commencer pas te dire que toutes ces années sans toi je les ai vécues avec toi et pour toi. J'ignore où tu peux bien être en ce moment : au paradis, en enfer ou pire encore zombifiée et réduite en esclavage quelque part ici bas. Je me force de croire que ce soit le premier, s'il existe vraiment. De toute façon, ton âme est là, quelque part. Il m'arrive de sentir cette présence salvatrice et surhumaine que dégagent les esprits qui nous protègent et qui nous aiment. Je sais que c'est toi, maman.
Maman, quand tu es partie j'étais trop jeune pour comprendre ce que signifiait la mort. Je n'avais que neuf ans. J'étais trop jeune pour comprendre que tu n'étais pas morte mais moi oui. Je ne pouvais pas comprendre que je devais désormais marcher sans guide au milieu des ténèbres et des forêts sauvages, à la merci des animaux féroces, des intempéries etc. Je ne pouvais pas comprendre que l'amour, l'affection et la présence d'une mère étaient aussi importants pour réussir dans la vie. Non, j'étais tellement naïf. J'étais impuissant certes, mais la vie n'y est pas aller de main morte avec moi.
Maman, tu sais, les coutumes n'ont pas changé et très bientôt ce sera la fête des mères. Te rappelles-tu de comment c'était, toi qui a toujours eu une mère? (grand-mère est morte une année avant toi). Les fleurs. Les chansons. La messe du dimanche. Les fêtes après la messe etc. Et bien moi, je n'ai jamais connu tout cet emoi, tout ce bonheur. Jusqu'à mes neuf ans tu n'étais jamais là et puis il n'y avait pas encore le téléphone. Moi, tout ce que j'ai toujours connu, c'était les fleurs noirs, les pleures et les sanglots loin des regards indiscrets, et la tristesse qui me rongeait...
Tu sais, je t'ai toujours aimé. Et malgré tout, je sais que tu m'aimais encore plus. Sauf que toi, tu avais eu assez de temps et suffisamment de moyens pour me le prouver. Tu pouvais marquer ma vie à jamais. Tu pouvais me laisser de beaux souvenirs. Mais, cela m'attriste et m'arrache des larmes de savoir que tu n'as rien fait pour cela. Pour moi tu étais une étrangère. Tu me rendais visite une ou deux fois par an. Des visites d'une journée ou deux... Alors que moi j'avais besoin d'amour, d'amour maternel. Je n'ai pas eu la chance de te dire je t'aime ou te le montrer. Tu es partie bien trot tôt. Et toi, tu me l'as jamais dit. Et si tu me l'as dit je n'ai aucun souvenir de ce moment, qui devrait être mémorable.
Je me rappelle avoir écrit une poésie pour toi. Mais ce n'était pas un poème d'amour. C'était un poème mélancolique qui avait pour titre "à l'âme de maman". J'aimerais pouvoir écrire un livre, du moins un chapitre dans un livre, pour parler d'amour, d'amour mère-fils. Tu me manques. Non, il me manque tout ce que je n'ai pas eu de toi, de vivre avec toi. Il me manque tout ce temps perdu. Tout ce temps que nous aurions pu passer ensemble, que nous devions passer ensemble... Tout me manque maintenant, de toi. Des choses simples, banales comme une conversation téléphonique, un sourire, une tape, un petit juron...
Pardonne-moi si je te dis tes quatres vérités. C'est ma façon de te montrer tout le catastrophe que ce manque d'amour maternel aurait pu causer en moi ou a peut-être causé en moi. Je ne te reproche pas de ne pas m'avoir aimer. Au contraire, tu m'aimais, j'en suis convaincu. Il y a mille façons d'aimer et de le témoigner. Mais ce qui importe c'est que l'autre puisse comprendre...
Toutes ces années, je n'ai jamais su comment te pardonner. Oui, quand je pleure, je pleure plus de ce que tu pouvais faire, en neuf années d'existence et que tu n'as pas fait obnubilée par ta petite vie à toi et les gens qui t'entouraient sans penser à cet petit enfant qui t'a fait mère. Je pleure la maman que tu devais être plus que celle que tu aurais été.
Ceci, malgré tout, est une lettre d'amour. Le temps et ta disparition n'ont fait qu'arroser mon parcelle sur laquelle tu pousses. Tu étais une fois l'arbre qui me portait fruit. Pourtant maintenant je suis la terre sur laquelle tu pousses. Tu vis en moi (je crois que c'est le seul endroit où tu vis encore après toutes ces années. Le monde a fini par t'oublier. J'espère qu'elle m'aide à te garder encore en vie, ta fille adorée) comme j'ai vécu un peu en toi, jadis. J'ai vu tes photos. Elles sont magnifiques. Tu étais jolie, on me l'a toujours dit et jusqu'à présent tout ceux qui ont pu les voir t'adorent. Et moi, bien sûr, je suis heureux mais ne dis rien. Mais tout cela serait féerique si je pouvais me contempler poser avec toi, en famille, toi, ta fille et ton fils (moi). C'aurait été mon précieux tableau de Michel-Ange. Il vaudrait à mes yeux plus de valeur que le monde n'aurait jamais.
Tu ignores tout de la vie d'un petit orphelin. Imagine-toi à ma place. Toi qui as grandi dans une vraie famille entourée de tes vrais frères et sœurs, ta mère et ton père. Je n'ai rien eu de tout ça moi, rien. Pas même toi.
Je t'aime. J'ai appris à canaliser cet amour pour qu'il ne me fasse pas mal. J'ai appris à te pardonner. A accepter la vie telle qu'elle est. J'ai appris à être reconnaissant. Des jours je pleure. Des jours je ris. Parfois j'aime la vie, parfois je me dis que la mort n'est peut-être pas si hiddeuse. Au final, j'ai fini par accepter que ce qui est fait est fait et que je dois faire avec. L'amour est un mystère qu'on ne cherche pas à comprendre au même titre que Dieu.
Maman, sais tu que ce mot à l'origine si doux et si tendre à prononcer me racle la gorge ? Le seul mot qui aie un sens dans ma bouche est papa. Non pas papa comme père biologique, mais papa comme grand-père. Depuis que je suis né la seule personne qui a toujours été là, qui m'a montré et enseigné l'amour et la vie c'était grand-père. A défaut d'une mère j'ai eu un papa merveilleux. Et ce papa était notre père à tous les deux. Par rapport à toi il a vécu longtemps. D'une manière ou d'une autre j'ai eu le temps de lui témoigner mon amour. Lui qui m'a tout donné. Lui qui a joué ton rôle à la perfection avant et après ton départ. Lui qui ne m'a jamais dit je t'aime mais nous savions tous deux que le dire serait un pléonasme.
Maman, sais-tu que pendant longtemps, dans la famille j'ai toujours été le seul orphelin (de père et de mère) ? Même tes sœurs et frères avaient encore papa. Du coup, j'étais la plupart du temps seul dans mon monde. Tu n'as eu ni le temps ni la volonté (j'aimerais bien me tromper sur ce point) de connaître ton fils mais, je te le dis maintenant, la solitude ne me dérange pas, au contraire. Ce qui me tue c'est que tout cela semble avoir un lien avec toi.
Papa est mort, il y a moins d'un an. Après toi, c'est la première personne de la famille qui nous a quitté. Il a vécu près de trois fois ton âge. De toute sa fratrie il était le dernier a quitté ce monde. C'était un homme béni. Mais, je n'ai pas pu assister à ses funérailles. Le pays que tu as connu a bien changé. Si tu es en enfer sache que je le suis aussi dans ce Port-au-Prince cimetière-ambulant. J'ai le cœur en lambeau de n'avoir pas pu être avec lui pour ce dernier voyage. Je suis sûr qu'il est mieux là où il est.
Maintenant que je suis à la dernière ligne droite de cette lettre je voudrais un moment me courber, en génuflexion pour te dire combien je regrette cette vie que tu m'as donné. Veuille me pardonner cet offense à toi et au créateur de l'univers. Je ne vous ai rien demandé. Le pire, sans toi...
Dans quelques années encore j'aurai le même âge que toi. L'âge depuis lequel on a cessé de compter tes anniversaires. Tu as eu deux enfants. Je suis certain que si tu avais pu prévoir ta fin aussi tôt tu ne nous aurais pas donné cette chance. Je ne t'aurais pas juger. L'amour d'une mère dépasse tout. Peut-être qu'avec moi le destin se répétera, qui sait. Peut-être que je partirai jeune comme toi. Je sais que toi tu as regretté ta mort mais moi je partirais heureux, sans regret ni remord.
Tu dois te demander pourquoi, après tant d'années je t'écris une lettre pareille ? Tu es partie sans rien dire à personne. Tu es partie avec tout tes secrets, avec tes opinions sur la vie et la mort, avec tes rêves pour tes enfants, avec l'amour que tu leur portais. J'ai voulu faire autrement. Rassure-toi, ceci n'est pas une lettre d'adieu. Mais si je dois partir tôt je voudrais que tu saches que j'ai su des choses de ta vie grâce à tes sœurs (mes tantes), elle n'était pas parfaite mais je suis fière de toi malgré tout. Je voudrais que tu saches que tout comme toi j'ai fait des erreurs. Tout comme toi ma vie est un fiasco. Je voudrais surtout que tu saches que je regrette cette vie que tu m'as donné mais qu'en dépit de cela je ne peux que t'aimer.
Je t'aime dans chaque échec qui m'arrache une partie de moi. Je t'aime dans chaque douleur, dans chaque larme. Je t'aime dans la mort d'une mère. Toutes les mères sont toi. Toutes les femmes sont toi. Je t'aime dans un enfant abandonné. Je t'aime dans les larmes d'une mère pleurant son enfant assassiné. Je t'aime dans la noirceur d'un demain macabre.
Je t'aime dans une fleur où butine un oiseau. Je t'aime dans la beauté d'une femme noire, ronde. Je t'aime dans un sourire, des dents blanches, dans une brèche. Je t'aime dans une victoire emportée. Dans un livre achevé. Dans un livre publié. Je t'aime dans un je t'aime réciproque. Je t'aime dans une copine. Elle peut savoir combien tu me manques...
Il me suffit de me perdre, d'être sans repère pour savoir que tu es partout. Oui, tu es partout, et pour cela, il a fallu que tu partes à jamais. Il est impossible d'être omniprésent avec la vulnérabilité de cet enveloppe humain.
Comme je te l'ai dit, tu es plus vivante que je ne le suis. Depuis que j'ai su ce que c'était une mère, je t'ai ressuscité et du coup tu vis à travers moi plus que moi je ne vis en moi-même. J'ai troqué ma place contre la tienne. En vrai j'aimerais bien. J'aimerais bien être celui qui est au cimetière et toi celle qui vit pleinement ta vie et qui prend soin de sa fille. Tu as adoré la vie et moi je la déteste.
Maman, je sais que tu liras cette lettre. Réponds-moi je t'en supplie. Tu trouveras un moyen. Avant la fin du mois de mai ma lettre te sera expédié dans l'eau de là. Mon anniversaire est pour bientôt, soit mi juin. Toi qui ne m'a jamais fait de cadeaux d'anniversaire fais en moi un, pour une fois.
Je te laisse maman. Si tu me reponds, je t'écrirai une seconde lettre, et peut-être une troisième, une quatrième, une infinité...
Ton unique garçon
Le Conseiller
Lettre mouillée à une mère partie trop tôt
La Rédaction 241
Kafounews
36 Commentaires
Brunancca lanoire
May 27, 2024 - 04:55:59 PMProud of you ????????❤️ espere ke li reponn ????????????
Rebecca Estimé
May 27, 2024 - 04:57:22 PMPa janm Sispann Epate m ❤️????????????
Samantha Morel
May 27, 2024 - 04:58:32 PMTrès Beau Texte !
BELLANDE Paola
May 27, 2024 - 04:59:00 PMCourrage à toi qui a perdu ta mère de très tôt
Delicious Cake
May 27, 2024 - 04:59:37 PMFocus broh m kwè nan o????
Antoine
May 27, 2024 - 05:07:53 PMSuperbe texte mon frère.????
Judnie
May 27, 2024 - 05:13:03 PMSois courageux!
MichelMario
May 27, 2024 - 05:21:13 PMDu courage Frerot. Beau texte
Gérôme Themia
May 27, 2024 - 05:30:55 PMTrès beaux texte Focus Bro.
Joudley
May 27, 2024 - 06:15:43 PM????????
Joudley
May 27, 2024 - 06:16:48 PMKeep going
Damoseder
May 27, 2024 - 07:53:09 PMTu réponds toujours à l'attente de tes lecteurs. Fonce bro!
Chrisrelle Edwine LORIENT
May 27, 2024 - 09:00:01 PMTrès beau texte. Force à toi!
Rose
May 27, 2024 - 09:14:09 PMJ'ai perdu la mienne quand j'avais 15 ans. Ça fait mal, mais ça vous rend plus fort à la fin.✊????
Rose
May 27, 2024 - 09:16:15 PMJ'ai perdu la mienne quand j'avais 15 ans. Et ça fait très mal, mais ça vous rend plus fort à la fin.✊????
Widsaïna
May 27, 2024 - 11:28:31 PMBèl tèks ???? kontinye sou menm lanse a, mwen kwè nan ou em konnen ou ka fè plis ke sa ???? em m ap toujou la pou ou nan nenpot sikonstans ????
Cajuste Michaud
May 28, 2024 - 01:02:13 PMTrès beau texte de t'a part,et vous être vraiment m'impressionnée, courage ma belle ????????????????????????????????
Cajuste Michaud
May 28, 2024 - 01:03:39 PMTrès beau texte de t'a part,et vous être vraiment m'impressionnée, courage ma belle ????????????????????????????????
Delmas Jennipher Leï
May 28, 2024 - 08:33:36 PM❤️
Ambroise Théchelet
May 28, 2024 - 09:48:02 PMTrès beau texte
Marc-Antoine
May 28, 2024 - 09:51:00 PMC'est vraiment impeccable ! Félicitations
Bob
May 28, 2024 - 10:15:12 PMFélicitation, c'est un beau texte
Leroi
May 28, 2024 - 10:48:06 PMFelicitations pour votre texte!!!
Holdy
May 28, 2024 - 11:20:24 PMQue là où elle est , elle t’encherie encore frère , fière de ta plume
Adley Levasseur
May 29, 2024 - 07:57:39 AMC tres inspirant
Michel Sylfida
May 29, 2024 - 08:55:51 AMFelisitations Doudou juste kontinye focus dou ????????????????
Mele Lucson
May 29, 2024 - 09:28:33 AMTrès belle texte félicitation ma frère
Mele Lucson
May 29, 2024 - 09:29:40 AMTrès beau texte félicitation mon frère
Wilberson
May 29, 2024 - 10:32:57 AMTrès beaux texte félicitation
Jameson Duré
May 29, 2024 - 01:05:04 PMTrès beau texte freo
Andre Marie Lovely
May 29, 2024 - 05:25:16 PMTrès beau texte. Après l'avoir lu Je pense qu'il est important de valoriser nos maman squi sont encore vivantes. Bravo à toi
Medjina Malerbe
May 31, 2024 - 11:53:32 AMTrès beau texte frérot ???? du courage
CASIMIR Bonté
May 31, 2024 - 05:13:40 PMC'est vraiment génial j'aime adorer quand quel qu'un onore les parents .
Immacula Nicolas
June 01, 2024 - 12:10:28 AMTrès beau texte, il me fait penser à ma maman partie trop tôt ,tu n'es pas seul, qu'elles veuillent sur nous là où elles sont .
Immacula Nicolas
June 01, 2024 - 12:13:36 AMTrès beau texte
Medacier Sheldine
June 01, 2024 - 02:58:57 PMBeau texte Cher … proud of you be strong????????