Une lettre à ma mère

Une lettre à ma mère

Entre le chant du crépuscule et le refrain que ta main vole constamment au soleil, et ce sourire qui circule sur ton portrait, et cette voix pour apporter une valse à mes peurs comme jadis, j’ai longtemps cherché. J’ai longtemps cherché qui pourrait écrire mieux qu’un crayon. Parce que, au départ, je n’avais nulle envie de t’aimer à la mine. Et puis je me suis souvenu que la plus belle saison, celle que tu adores plus que toutes les autres, c’est l’enfance. Et quoi de mieux qu’un crayon pour pointer du doigt les années où l’on ne doute pas, ces années où l’on ne se soucie pas. Ces années où l’on fait comme si la vie était une rue juteuse qui s’étendrait à perte de vue. Alors ne m’en veux pas trop s’il y a quelques tâtonnements dans ces lignes. Quelques-uns sont mis exprès pour me rappeler. Me rappeler les indécisions, les pas manqués, et les choses, et les personnes que j’ai laissé partir, parce que je n’ai pas osé pendant une seconde, l’espace d’un claquement de doigts, l’espace d’un clapotis de bruit sec, l’espace d’un écho qui court tel un son qui se jette dans une cloche, l’espace d’un espace laissé entre parenthèse, court comme un jour de l’an qui passe vite. Mais la majorité de ces tâtonnements sont vrais, innocents, comme l’enfant que j’étais quand tout dépendait de toi. Quand tu prenais l’habitude de réveiller l’aube pour apporter à la rue le dernier pli que la nuit laissait sur ton visage et que tu donnais au jour la sueur de ton front. Ces jours où nous comptions tous sur toi pour freiner les dérives que les heures sans pains dessinaient. Ah ! L’enfance. Cette partie de la vie qui circule dans la peau de tout homme. Je pense que l’enfance c’est la partie qu’on aime chez tout le monde. Pure. Sans péché. Immature. Ignorant toute chose et faisant du monde un bel endroit comme on dit. Je crois que tu t’obstines à garder en moi cette partie de la vie parce que tu veux que je sois toujours parfait, sans tache et innocent.

Je me rappelle ce jour où je t’ai rencontré. Un jour sans âge (le jour n’en avait pas, moi non plus). Et je ne savais pas que tu allais devenir un si grand soleil. Ici les jours ne font pas de cadeau. Je l’ai appris par la fleur si belle qui se fane au bout de la route, par le sang qui repeint tous les murs de sa couleur baladeuse, par la nuit pendue aux lèvres portant des sanglots vides et des soubresauts lynchés à chaque coin de rue pour trafiquer les frissons de l’abeille et de son miel au petit matin. Et tu étais toujours là pour m’apporter cette lueur au creux de ta main solide et douce à la fois. Si je me blessais, tu avais mal avant moi. Toujours là à aimer, je ne saurais jamais comment tu fais ça.
J’écris souvent. J’écris des colères. J’écris des rages. Parfois j’écris la peur. La peur de ne plus pouvoir habiter longtemps les énigmes qui font figure d’ombre pour précéder à la nuit. Ces énigmes qui nous tiennent debout. Ou bien la peur de les habiter en vain. Sans résultats valides. Parce qu’après, nous devrons tous partir. Partir pour nulle part. Qui nous dira alors si on avait fait les bons choix? Si on avait emprunté le chemin parfait? Si on avait mis nos pas là où il le fallait? Si on avait habité un rêve qui a la vie assez dure pour germer? Les fourmis peut-être? J’entends toujours ma tante qui dit lè m mouri foumi a ban m nouvèl ou. Moi je ne fais pas trop confiance aux fourmis. En faite je ne les fais pas confiance du tout. Il y a ceux qui sont noires. On dit qu’elles sont folles aussi. Qui confierait un message à un homme fou ? Et en plus ce n’est même pas un homme, c’est une fourmi. Il faut être malade pour faire confiance à une fourmi folle. Et il y a les fourmis rouges. Foumi pikan comme tu les appelles. Elles sont violentes et elles piquent. Je ne peux pas donner à une fourmi rouge un message à apporter à un mort. Ce serait mettre en danger la vie de ce dernier. Mourir une fois est déjà compliqué. J’écris aussi l’enfance. Et quelques fois, que dis-je, souvent, j’écris l’amour. Oui, tu m’as appris à aimer partout. Même dans un poème. Même dans une lettre que tu ne liras peut-être pas. Et tu m’as appris à aimer sans retenu. Te souviens-tu du jour où tu as rencontré S? Ce jour là j’ai su que tu ne retiens pas en amour. Tu as même dis que c’était la femme que Dieu m’avait réservé. Et, comme pour confirmer l’aspect divin de la chose, toute la famille l’avait aimée au premier regard. Même le vieux grincheux. Tu sais parfaitement de qui je parle. Il t’a aimée lui, et il sait qu’il ne faudrait jamais qu’il aime comme toi tu aimes. S’il n’y avait pas le paternel, pour m’apprendre à aimer autrement, je serais un fou, au sens littéral du terme, puisque je suis déjà fou. Qui n’est pas fou ne vit pas. Y a quelques mois de cela je suis tombé amoureux d’une fille qui m’a appris comment être fou. Elle est parfaite. Tu l’aimerais sûrement. Elle m’a appris à être fou. Et c’était bien. Aimer comme toi c’est aimer sans comprendre. C’est aimer avec cette piqûre de folie. Et c’est prier pour la personne qu’on aime. Sacrée toi qui ne fais rien sans le bon Dieu. Alors oui j’écris l’amour. L’amour des gens qui pensent aimer. L'amour des gens qui aiment vraiment mais ne savent pas qu’ils aiment vraiment, ou qui ne montrent pas qu’ils aiment vraiment. Ils sont comme moi ces gens là. Tu le sais. Je parle de ce qui ne montre pas qu’ils aiment vraiment. On me dit souvent qu’il faut que je dise aux gens que je les aime avant qu’ils partent. Avant qu’ils n’aient plus le droit de partager avec nous le départ du soleil et la fraîcheur des branches de la nuit. Mais je ne peux pas. Pourtant j’écris l’amour. Oui, l’amour est constamment dans mes doigts. L’amour me grignote les ongles page après page. Et pourtant dire je t’aime est un supplice. Les mots deviennent subitement insaisissables, inaccessibles. Peut-être que c’est parce que c’est comme ça qu’on aime vraiment, en silence, sans faire de bruit, sans dire un mot. Peut-être que souvent, très souvent, on aime faux avec les mots.

La vie est une maladie qui nous fonce droit dessus et nous force à hurler, à faire des choses, à bricoler des pas pour mettre nos bottes et à tricoter des dieux pour croire et devenir fidèle à la chanson du jour jusqu'à ce que le refrain perde pied entraînant sa silhouette et nous avec elle. Et tu as hurlé à ma place, tu as bricolé des rues et des boulevards pour me faire marcher. Et ces dieux que tu as eus comme lieutenants.
Ecrire c’est aller au bout de soi même et faire parler l’inconnu quand on a hébergé celui-ci trop longtemps. C’est sortir de sa peau pour se questionner, c’est se révolter, se battre. Oui, écrire est un acte de guerre. N’écrit-on pas toujours dangereusement? Et toi, tu m’as toujours cru capable d’écraser tout le monde avec une plume. Pourtant la violence n’est pas ton point fort. Tu me traite toujours d’avocat raté. J’aime poser des questions, et toi de me dire se pa timoun ou ye comme pour me rappeler d’être toujours l’enfant que tu as mis sur cette terre un jour qui n’était pas censé être celui des vivants. En bonne chrétienne devant l’éternel, ta parole est oui et amen. W ap sanble jezi nan tout sans, fòk ou ta chita adwat papa a wi, oubyen a dwat moun ki adwat li a. Le monde est si grand et j’ai la chance de le parcourir dans tes yeux.

Il y a presque trente ans, je n’avais pas prévu d’être un homme aujourd’hui. Mais tu en as décidé autrement. Habiter le monde est une chose. Faire habiter le monde c’est une autre chose. Et toi, tu as si bien fais les deux. Merci.
Il faudrait que tu comprennes que cette lettre n’en est pas une. Ce n’est même pas un poème. Nul poème ne pourrait te donner portrait. Cette lettre est un chemin que je n’ai jamais su comment emprunté avant ces phrases. C’est un élan comme celui qui porte à regarder le soleil, juste pour que ne vive que ta peau et ses rayons. Rien d’autre. Je te dirais bien que je t’aime mais ma main tremblerait trop et j’aurais alors besoin d’une autre feuille pour recommencer. Ici on ne dit pas ‘’je t’aime’’. Alors je ne le dirai pas. Mais tu sais mieux que moi. Tu sais mieux que moi que j’encaisse car il faut encaisser. Tu sais que je dis rarement ce que je ressens. J’ai une amie qui me dit tout le temps: “tu es un livre fermé, scellé même”. L’autre jour, elle m’a même fait comprendre que même ouvert je suis fermé, avec une illustration qui m’a fait rire. Et pourtant je suis tellement bavard par moment tu le sais. Il faut ressentir pour soi quand on vit. Quand on vit comme moi. Quand on vit à mort. Alors j’encaisse. J’encaisse ce que je ressens. Et je ressens ce que j’encaisse. Et toi tu es dans tout ça. Tu es là à donner ton nom à la fleur. Tu es là à donner ton corps à l’aube. Et toutes les deux, elles seront toujours en état de grâce. Toujours.

Desir Jean David

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La Rédaction 237

Kafounews

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8 Commentaires

  • Mi

    May 27, 2024 - 08:49:38 PM

    Très beau texte. L’histoire de l’amour, de la folie, des regrets. L’histoire de la vie ici-bas. On aimerait bien rencontrer S aussi rires ???? Bravo à toi livre sous scellé.

  • Mi

    May 27, 2024 - 08:49:39 PM

    Très beau texte. L’histoire de l’amour, de la folie, des regrets. L’histoire de la vie ici-bas. On aimerait bien rencontrer S aussi rires ???? Bravo à toi livre sous scellé.

  • Hornika Edouard

    May 28, 2024 - 07:24:48 AM

    C'est fou qu'il y a encore des jeunes qui écrivent..et ce n'est pas écrire pour ne rien ressentir, mais pour un très beau voyage de lecture! Je me souviens également des phrases de ma mère ( Que la terre lui soit légère) Tt Moun pral kay bourik ya wè longè zòrèy bourik Ce fut un plaisir de parcourir ces quelques lignes Mes Félicitations ????

  • Hornika Edouard

    May 28, 2024 - 07:27:47 AM

    C'est fou qu'il y a encore des jeunes qui écrivent..et ce n'est pas écrire pour ne rien ressentir, mais pour un très beau voyage de lecture! Je me souviens également des phrases de ma mère ( Que la terre lui soit légère) Tt Moun pral kay bourik ya wè longè zòrèy bourik Ce fut un plaisir de parcourir ces quelques lignes Mes Félicitations ..

  • Danie L

    May 28, 2024 - 06:40:52 PM

    Chaque fois que je lis vos œuvres, cela éveille en moi le désir de devenir écrivain aussi. Félicitations mon grand

  • Kervens SOLON

    May 28, 2024 - 09:41:51 PM

    Par ce texte vous nous faites découvrir la richesse de l’existence. Très beau texte, congratulations!!

  • Calas

    May 30, 2024 - 08:02:40 PM

    Wawww, tres beau texte !!! J'ai beaucoup apprécié !!!!

  • Dany

    June 02, 2024 - 11:05:47 AM

    Un travail extra... Congratulations mon frère