Les municipalités, la clé pour gagner la lutte contre le covid-19 en Haïti

Les municipalités, la clé pour gagner la lutte contre le covid-19 en Haïti

Le 19 mars de cette année, les deux premiers cas du Covid-19 ont été découverts sur notre territoire. L’étau de la plus grave pandémie connue depuis quelques décennies par l’humanité s’est resserré sur l’économie la plus pauvre et la plus inégalitaire au niveau de la région Amérique Latine et Caraïbes. Faut-il toujours rappeler que 60% de la population haïtienne vit en situation de pauvreté et 25% en extrême pauvreté depuis 2012. Ces données sont un peu vieilles, mais tout laisse à croire que la situation n’a pas connu de grandes modifications. Au point de vue de la sécurité alimentaire d’ailleurs, Haïti affiche davantage de mauvaises notes. Avant la pandémie du Covid-19, 2.6 millions d’haïtiens étaient en situation d’urgence alimentaire. La pandémie, à travers les chocs d’offres et de demande qu’elle a créés, peut empirer la situation alimentaire du pays dans les mois qui viennent.

Jusqu’à présent, moins de 100 personnes ont été déclarés positives de la maladie du Covid-19 en Haïti. En dépit des faibles niveaux de tests réalisés, faute de moyens et de gestion, les autorités publiques haïtiennes ont encore des marges pour stopper la propagation du Covid-19 sur le territoire national. Cependant, la lutte contre la pandémie requiert des stratégies de proximité que l’Etat central n’a pas de compétence pour effectuer. Il faut nécessairement compter sur les pouvoirs locaux afin que le pays puisse apporter une réponse rapide, agile et efficace contre la propagation du Covid-19. Malheureusement, dans la grande majorité des cas, les municipalités haïtiennes n’ont pas assez de capacités techniques, informationnelles, financières et humaines pour être efficaces. Si la constitution de 1987, dès son préambule, fait de la décentralisation le grand projet qui devrait déboucher sur un pays en bonne marche, dans la réalité, les communes ne sont pas autonomes.

En effet, l’autonomie requiert nécessairement de l’autonomie financière. La situation fiscale ou en termes de ressources propres de plus de 95% de nos communes ne leur permet pas de jouir de ce droit, leur fonctionnement étant lié essentiellement à l’exercice de péréquation de leur ministère de tutelle, le Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales (MICT). Déjà en 2015, 95% des recettes communales, notamment en patente et CFPB, ont été prélevées par les 6 plus grandes communes de la zone métropolitaine. La majorité des champs de taxation qui devraient garantir l’autonomie financière de nos municipalités ou de nos communes, ne fonctionnent pas. Les communes, légalement, disposent de 11 champs de taxation, mais faute de la désuétude de la législation fiscale par rapport à notre réalité économique actuelle et de la faiblesse opérationnelle des communes, seulement 3 ou 4 (dans le meilleur scénario) fonctionnent. Avec l’arrivée de la crise sanitaire sur notre territoire, la situation de la fiscalité communale s’est empirée car, les activités ne fonctionnent pas normalement et les ménages haïtiens sont davantage en difficulté.

Si les recettes communales ont pris des coups, la demande pour des services de proximité de la part de la population haïtienne augmente. La lutte contre la maladie du Covid-19 fait obligation aux mairies par exemple, d’intensifier les activités des services de la voirie, de s’impliquer davantage dans les domaines tels que l’alimentation en eau et la sécurité de la population communale. A toutes ces activités, s’ajoutent nécessairement des efforts de sensibilisation afin de conscientiser la population du degré de risque et de danger que représente la maladie du Covid-19. Avec des finances publiques locales exsangues, qui dépendent pour la majorité des cas, des allocations du MICT, ces activités se révèlent très difficiles, voire impossibles à réaliser dans plusieurs municipalités du pays. Le gouvernement, suite à la découverte des premiers cas dans le pays, s’est dépêché de financer les mairies à hauteur de 400 000 gourdes pour apporter une réponse rapide. Mais ces fonds sont très insuffisants pour que les municipalités puissent non seulement financer leur fonctionnement interne mais aussi fournir les services nécessaires à la population.

Le MICT accuse déjà plusieurs mois de retard dans son exercice d’allocation qui entrave le fonctionnement des mairies et dans certains cas, les budgets communaux pour l’exercice fiscal actuel ne sont pas encore approuvés par le MICT et la Cour des comptes. En cette période de crise sanitaire, il est temps de faire, non d’extraire. L’Etat haïtien, s’il désire vraiment apporter des solutions efficaces, susceptibles de toucher les citoyens pour lesquels il a été toujours reconnu marron, doit se mettre dans un cycle d’agilité, et cela passera nécessairement par la pleine collaboration avec les pouvoirs locaux. La bataille contre le Covid-19 se déroule dans les communes, sans une administration municipale conséquente, le pays à de faibles chances de gagner cette bataille.

L’Etat central, les donateurs privés, les Organisations Non Gouvernementales (ONG) et les organisations ou agences internationales doivent adapter leurs paradigmes de support, pour inclure davantage les administrations qui sont plus à même à toucher la population. Qui ne s’occupe pas des administrations communales, ne s’occupe pas du peuple lui-même, car ce dernier vit dans nos communes et nos localités. L’administration centrale a son rôle à jouer. Cependant, seuls des pouvoirs municipaux capables et dynamiques peuvent aider le pays à vaincre la maladie du Covid-19. La crise sanitaire, en dépit de son bilan malheureux, apporte des leçons pour la construction d’un pays meilleur. Parmi ces leçons, il y a que le pays doit redéfinir son projet de décentralisation de manière plus réaliste par rapport à sa structure économique pour créer des municipalités actives afin de satisfaire la population. Entre temps, il faut accompagner les municipalités pour que la réponse contre la maladie soit inclusive et triomphale.

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Johnny Joseph 6

Applied Economist, co-founder of Catch Up Haïti, Consultant at Group Croissance.

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1 Commentaires

  • C.P.H

    May 06, 2020 - 12:20:13 AM

    Bien reçu cher camarade.J'ai noté et compris.Félicitations mon frère