Que devient une vie sans repères ?

Que devient une vie sans repères ?

« Chaque lecture laisse en nous une graine qui germe », disait Jules Renard. Quand une lecture donne matière à penser et invite à faire un retour sur soi, on se rend compte que l’auteur a réussi son pari. Dans le magistral roman de Paulo Coelho, Le Manuscrit retrouvé, on retrouve un passage où un jeune garçon déclare : « Je n’ai jamais su quelle direction prendre. » Comme une chute à travers le temps, ces propos m’ont renvoyé à décembre 2020, à un moment où une question existentielle me hantait : Que vais-je faire de ma vie ?

L’année 2020 a été marquée par la pandémie de Covid-19. En mars, le gouvernement haïtien a imposé le confinement sur tout le territoire. Cette période allait durer six (6) mois. Cette situation ne fut pas sans conséquence : elle allait influencer les habitudes de vie et modifier les routines. Les doutes, les inquiétudes prenaient de plus en plus de place dans nos esprits d’adolescents. On se questionnait encore et encore : qu’adviendrait-il de nos aspirations ? De nos projets de vie, en pleine crise sociopolitique, économique et humanitaire qui rongeait les entrailles du pays ?

Durant la pandémie, avec mes amis d’un groupe de travail baptisé Cerveau d’Or, nous essayions de vivre avec, de ne pas sombrer. Ainsi, nous lisions régulièrement. Ensuite, nous discutions de nos lectures, partagions notre bonne humeur, échangions des blagues et des rires. Cela nous aidait à nous accrocher au soleil dans un pays qui faisait noir. Pour rendre hommage au poète français Charles Baudelaire, nous nous enivrions de lecture pour ne pas ressentir l’horrible fardeau du confinement et des jours qui passaient à répéter les mêmes actions.

Parmi mes lectures, une citation a totalement changé mon regard sur les temps difficiles. Je pense que c’est l’un des bienfaits les plus précieux de la lecture : ce pouvoir de nous transformer. De l’illustre biologiste Charles Darwin, elle est ainsi formulée : « Les espèces qui survivent ne sont pas les espèces les plus fortes, ni les plus intelligentes, mais celles qui s’adaptent le mieux aux changements. »

À présent, il n’y avait qu’un seul mot d’ordre : adapter aux changements mes aspirations, mes projets de vie, mes passions et mes folies. Il fallait mobiliser mes ressources pour d’abord réussir le bac, ensuite intégrer l’Université d’État d’Haïti pour étudier la psychologie, et enfin lancer un club littéraire pour me rapprocher de la culture et construire ma carrière d’écrivain et d’opérateur culturel.

Dans un langage propre à Coelho, l’univers connaissait mes désirs. Ainsi, il a conspiré à ce que je réalise tout ce à quoi mon cœur aspirait. Car j’ai réussi le bac en décembre 2020, j’ai intégré la Faculté d’Ethnologie en mars 2021, puis la Faculté des Sciences Humaines en avril 2021. Août 2021 a vu la création du Club Flèche Rose. En décembre 2021, j’ai publié mon premier recueil de poèmes intitulé La Douce qui vient. Que de réalisations qui témoignent du long chemin que j’ai parcouru jusqu’à aujourd’hui. Le chemin n’a pas été sans embûches. Des combats ont été gagnés et perdus. Mais une chose est certaine : nous n’avons jamais perdu notre objectif de vue. Malgré la présence du superflu, de la facilité, nous avons su rester accrochés à l’essentiel, à ce qui nous maintenait dans la joie.

En effet, Flèche Rose Club reste cette victoire à qui je dois tout aujourd’hui : des amis, des projets, des enseignements, des lecteurs, une famille. Je lui dois tout. Les membres ont cru en mes folies, m’ont soutenu et m’ont permis de créer un personnage dont je suis fort fier. Ce club a grandement contribué à mon développement. Je n’ai jamais douté d’être sur le vrai chemin. Je le savais. On sait qu’on est sur la bonne route quand on sent qu’on est soi-même dans chaque souffle, chaque pas, chaque petite victoire, aussi silencieuse soit-elle.

Par ailleurs, toutes ces réalisations ont un dénominateur commun : Jean Michelot Polynice, dit Michelot Le Cupidon.

Au début de notre rencontre, Michelot Le Cupidon a été mon professeur d’Éducation à la Citoyenneté. Après mon bac, nous sommes devenus amis. Aujourd’hui, il est un frère-volcan. Avec ses précieuses idées, il a posé les fondations solides du Club Flèche Rose. À cette époque, il était l’acteur principal du spectacle érotique Scène adulte, produit par son groupe socioculturel Le Classique Haïti, dont l’objectif était de promouvoir l’éducation sexuelle des jeunes.
Poète talentueux, doté d’une plume qui choque autant qu’elle plaît aux amoureux des belles lettres, Le Cupidon avait déjà un recueil de nouvelles en librairie : Si les Culottes pouvaient parler. Ainsi, il est devenu mon modèle. Quelqu’un à qui je m’identifiais et dont je pouvais suivre les traces. Je n’ai pas tardé à me rendre compte qu’il est un devoir de se construire, d’investir en soi, de se développer, de s’améliorer. Pas seulement pour soi, mais aussi pour les autres qui auront besoin d’une boussole pour trouver leur voie, et d’une lumière pour arpenter les sentiers de la vie.

Actuellement, il réside en France. C’est un héritage que nous, les membres, avons le devoir de protéger et de renforcer.

En 2025, à l’ère du numérique, ne faut-il pas questionner les influences auxquelles les jeunes sont exposés ? Qui sont les modèles qui leur permettront de se réaliser ? De se connecter à leur vraie essence ? Pour ne pas sombrer dans le paraître, mais se rattacher à l’être ? Pour relever les défis que leur impose la crise qui sévit dans le pays ?

Que devient réellement une vie sans repères ? Le jeune garçon dans l’extraordinaire roman de Coelho n’a jamais su quelle direction prendre. Peut-être que cela aurait été différent s’il avait eu un guide, un mentor. Mais aussi, il faut faire ce retour sur soi et se demander : Savez-vous où vous allez ?
De mon côté, je savais où je voulais aller. Ce désir m’a toujours habité : créer une communauté qui vit par et pour la littérature, qui s’engage à briser les tabous, à éclairer les esprits, à transformer les gens. Une communauté où chaque initiative porte sa lumière et sa tendresse.

Quatre éléments. Quatre années. Une seule flamme : Flèche Rose Club.

Que devient une vie sans repères ?

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