Écrivain... écrivain...écrivain?

Écrivain... écrivain...écrivain?

La lecture permet de réfléchir sur soi-même, sur le monde, sur la littérature. Quand l’acte de lire devient un mode de vie, on grandit, on mûrit. Chaque mot. Chaque affirmation. Chaque questionnement porte en lui une substance qui nourrit le subconscient et aide à s’approprier le réel.
Émerveillememt. Retention de souffle. Voyage intérieur. Ouverture à l’autre. On peut être traversé par tous ces états lorsqu’on est heurté à une question posée par un auteur à la plume alléchante. On se rend compte que certaines questions peuvent conduire à plusieurs vérités. Ce qui est fascinant c’est que chacun peut forger sa vérité en fonction du sens qu’il donne à son expérience. Animé par cette quête de vérité, nous nous sommes tournés vers des frères et soeurs d’encres, des gens qui font de l’écriture un cheminement vers la vie. Alors, reposons la question «À quoi ça sert un écrivain»?

Auteur haïtien reconnu pour ses œuvres poétiques et ses romans Les Immortels (2010) et Les Latrines (2011), Makenzy Orcel pose, dans son premier roman, une interrogation qui nous intéresse particulièrement. Une question soulevée dans un contexte tragique qui est la mort d’une travailleuse du sexe, périe sous les décombres du séisme du 12 janvier 2010 en Haïti. Cette fille, fervente lectrice de Jacques Stephen Alexis, n’a pas pu être sauvée, malgré ses nombreuses lectures. Dans ce cas, peut-on encore dire que l’écrivain a un rôle spécifique ? Peut-on associer ce rôle à une mission existentielle ? À une responsabilité vis-à-vis de lui-même, des autres, du monde ? Celui qui écrit ne devrait-il pas s’interroger sur l’utilité de ses écrits avant même de s’y investir ? Ou bien doit-il simplement se laisser guider par la pulsion d’écrire, quitte, par la même occasion, à produire une œuvre utile ?
Si l’on se réfère à un passage du romancier, on peut retenir cette idée essentielle : le livre doit savoir enseigner à celui qui le lit. Il doit transmettre des comportements qui peuvent aider le lecteur à se sauver de lui-même, des défis de la vie, et même des contraintes imposées par la société.

Face à un tel questionnement, Brice Bernard répond sur un ton très humaniste : "Être un écrivain a toujours été, à travers les âges, dans toutes les formes de sociétés et dans tous les types de régimes politiques, un privilégié. […] L’écrivain reste un serviteur qui s’offre aux services de sa communauté. Moi, je crois qu’être écrivain, c’est être libre pour défendre les valeurs humaines. Qui se livre en bataille pour le bien-être de l’homme , l’homme universel, bien entendu."

Le poète Brice Bernard voit en l’écrivain un homme qui fait de sa plume une glaive. Un homme engagé à l’instar des pionniers qui produisait une littérature de combat pour défendre notre indépendance, des écrivains de la ronde qui luttait contre l’occupation américaine, des Franketienne, Depestre pour ne citer que ceux-là. Mais qu’en est-il d’aujourd’hui ? Où Haïti connaît une crise sans précédente et il y a de plus de plus en plus d’écrivain ? La responsabilité citoyenne reste intacte et partagée. Cependant, il faut se demander si le simple fait d’écrire suffira pour nous sortir de cette impasse ténébreuse.

La poétesse Ruth Bernie, quant à elle, répond en ces termes : "Être écrivain, c’est vivre. […] Être écrivain, c’est habiter le langage comme on habite le monde : avec inquiétude, lucidité et espoir. […] L’écrivain est acteur. Il joue tous les rôles, interprète nos silences, et éclaire les scènes de notre vie. Il nomme ce que d’autres taisent, il donne chair à la mémoire, souffle à la pensée, refuge à l’âme. […] Être écrivain, c’est se dresser dans la solitude avec, pour seule arme, la liberté de dire.
L’enseignante croit que l’écrivain doit briser ce que l’illustre poète Georges Castera a appelé «l’éloquence étouffée». Sa réponse rejoint celle du romancier qui déclare plus loin dans ce roman «L’écrivain doit noter tous les silences. Tous les non-dits».

Pour Lefranc, psychologue, chanteur, l’écrivain est quelqu’un qui a un grand sens de l’autre. "L’écrivain aide les autres à prendre conscience de leur potentiel […] pour inventer la vie, voire même des vies au sein de l’existence."
Si l’écrivain est un philanthrope chez ce poète, il doit aussi être utile. D’ailleurs Lefranc déclare : « L’écrivain prête ses mots, ses pensées, ses perceptions à ceux-lles qui n’arrivent pas à trouver les leurs. […] Souvent, c’est juste après la lecture d’un roman qu’on comprend un vécu présent ou datant de plusieurs années. »

Lefranc attribue une troisième fonction à celui qui écrit : "L’écrivain est un pilote qui nous fait voyager, ainsi nous libère de tout ce qui nous sidère. […] Tandis qu’on côtoie chaque jour les mêmes personnes, on n’est cependant plus la même personne après quelques bonnes lectures."

Et il conclut :« l’écrivain écrit aussi pour lui-même : pour échapper à l’emprise du temps et surtout à la mort, sans avoir besoin de la fuir.»

Il est incontestable que l’écriture peut être miroir de soi où l'on peut voir ses fantasmes, ses joies et idéaux. Elle peut offrir aussi un miroir à l’autre, où ce dernier peut se reconnaître. C’est ainsi que Gamara Jean Jacques, professeure de littérature haïtienne et française déclare :« Être écrivain, c’est avant tout donner vie à des mots pour tisser des histoires qui touchent l’âme et éveillent l’esprit. […] C’est une quête intime […] tout en offrant aux autres un miroir ou une fenêtre sur des mondes invisibles. »

Enfin, un étudiant en communication sociale à la Faculté des Sciences Humaines rappelle que l’écrivain n’a peut-être pas de mission précise. Lavéus Adamson Junior déclare :
«Je ne sais pas si un.e écrivain.e a une tâche spécifique dans une société. Il est peut-être là pour porter au vu et au su de tout le monde ce qui lui dérange et l'expression de son for intérieur. Il se peut que les gens qui le lisent s'identifient à ce qu'il expose. Cela pourrait les pousser à changer de comportement au sujet de certaines réalités. Au delà de tout cela, si un.e écrivain.e aurait une responsabilité, ce serait d'alléger la douleur du monde dans la mesure du possible.»

Pour conclure, si l’on veut répondre à la question en nous inspirant du roman les Immortels, on reprendra ces paroles de Makenzy Orcel : « l'écrivain, tu écris, Tu transformes.» […] L'écrivain immortalise. En fait, Quel que soit le genre. Quel que soit le thème de prédilection de celui qui écrit. Écrivain de la mélancolie. De l’amour. De la révolution. Les coups de cœur qui nous séduisent. Qui nous choquent. Qui nous éveillent. Les auteurs ont ce pouvoir d’agir sur nous. Nous bouleverser. Nous transformer. Imaginez qu’on puisse se réinventer, rien qu’à la création d’un personnage par un auteur. Oui, l’écrivain écrit pour se sauver. Pour se sauver de lui-même. Pour se sauver du monde. En ce qui vous concerne, à quoi ça sert un écrivain?

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2 Commentaires

  • Iphraine

    July 07, 2025 - 11:47:04 PM

    Good job

  • Marcknel ALEXIS

    July 08, 2025 - 02:43:53 AM

    Super????????