La commune de Carrefour est appelée "Bastion culturel" pour avoir abrité une haute instance de la peinture haïtienne vers la fin des années 50. Trois peintres dissidents du Centre d'Art se lient en 1956 pour former un poumon culturel à Carrefour, ce fut Dieudonné Cédor, Luckner Lazard et Roland Dorcély. En cours de route, d'autres confrères rejoigniaient la bande tels Néhemy Jean, Jacques Gabriel, Jean René Jérôme... Bref portrait de ces artistes pionniers qui ont marqué l'histoire de la peinture carrefouroise.

Dieudonné Cédor

Contraint de devenir artisan ébeniste par sa mère après ses études au Collège Beaubrun Ardouin, Dieudonné se résout à se plier au désir maternel et entre à l'école JB Damien. Mais l'amour qu'il voue à la peinture l'oblige à abandonner l'ébénisterie pour se consacrer à sa passion. Né le 08 mars 1925 à Anse-à-veau, Dieudonné entre au Centre d'art en décembre 1947. À ses débuts, il reçoit l'aide de Rigaud Benoit sur la structuration de son travail. Il devient tour à tour professeur et membre à part entière du comité d'administration de ladite institution. Il est en 1949 chef d'atelier des artistes populaires du centre. Mécontent du courant primitif et sa commercialisation à l'extrême, il quitte en 1950 le centre avec un groupe d'amis. Révolté et en chef de file, avec René Exumé, Lucien Price, Max Pinchinnat partageant la même idéologie que lui, il institue le Foyer des Arts Plastiques. Le déclin du Foyer, six années plus tard, le porte à créer avec Lazard et Dorcély: La Galerie de Brochette où il restera jusqu'en 1962. En 1953, Dieudonné Cédor gagna le prix de l'exposition du département du travail en Haïti. Et en 1957, il décrocha le grand prix du travail de l'office du tourisme haïtien. Sous la demande du gouvernement des Duvalier, Cédor réalisa une fresque à l'aéroport international de Port-au-Prince en 1967 avec un de ses disciples. Peintre, graveur, il travaille à la Galerie Nader de 1969 à 1976. Il décrocha aussi un emploi de professeur à l'ENARTS vers 1986 qu'il garda jusqu'à sa mort le 27 Septembre 2010, à 85 ans. Son travail se retrouve à présent aux quatre coins du monde.

Luckner Lazard

Peintre et sculpteur de renom, il vient au monde le 07 juillet 1928 à Port-au-Prince. Il étudie la peinture et la sculpture auprès de Dewitt Peters, Maurice Borno et Albert Mangonès au Centre d'art. Faisant partie du groupe d'opposants à la politique de l'institution, il entre au Foyer des Arts Plastiques et obtient une bourse d'étude pour deux ans pour Paris en 1951. Quelques années après son retour au pays, il fonde avec ses frères de pinceaux: " La Galerie de Brochette". Grâce à ses nombreux voyages à Paris, Madrid, Rome et au Mexique, il s'inspire des oeuvres du peintre et muraliste mexicain Orozco et de celles de Siqueiros. Ses voyages lui ont permis de rencontrer des grands noms du troisième art, ce qui impactera positivement sa notoriété en Haïti. Lazard accompagne des jeunes artistes en quête de nouvelles techniques et notions. En 1966, professionnel, il émigre aux USA. Même ailleurs, ses oeuvres essentiellement figuratives restent imprégnées du caractère haïtien. Dans son exil, il rechercha en tout et partout son terroir, ce qui le poussa à faire la connaissance d'autres artistes et intellectuels haïtiens en terre étrangère. Ces retrouvailles se soldaient par des discussions, des expositions dans son sous-sol et eurent comme effet la création de l'Association des Artistes Haïtiens à l'Étranger qui devient par la suite "Diacoute Association S.A". À son retour au bercail, Luckner cherche à revigorer son art mais inconsciemment il avait en lui l'empreinte de l'ailleurs. Il mourut le 15 mai 1998 dans la sérénité de la ville de Jacmel.

Roland Dorcély

Connu pour sa peinture abstraite, cubisme et non-objective, Roland Dorcély est né en 1930 à Port-au-Prince. Il a effectué ses études à Saint Louis de Gonzague et au Lycée Pétion. Jeune prodige, il intègre le Centre d'Art à seulement seize ans. Passionné aussi de littérature, il s'adonne à l'écriture de poème en vers. Méconnu, il se consacra de préférence à la peinture. La même année de son entrée au centre, avec l'encouragement de Georges Henri Rivière, il voyage à Paris pour étudier avec Fernand Léger (Pionnier du cubisme) et André Masson (Peintre surréaliste). Il laisse l'établissement du Centre d'Art en 1950 à cause des crises internes. Il a enseigné à Conakry afin d'aider le gouvernement Guinéen à ouvrir une école d'art. "Son recueil de poème, "S.O.S à Daniel Kahnweiller" et sa peinture lui conféra un nom dans l'univers des Arts et des lettres. Pionnier de la fondation du Foyer des Arts Plastiques et de la Galerie de Brochette, le premier marché de l'art lui ouvre ses portes et il se voit exposer dans divers pays tels que les États-Unis, le Canada, la Colombie et certains pays d'Europe. Ses collections au Musée d'Art Moderne de Paris, au Musée d'Art Moderne de New York, au Boca Raton Museum of Art, de même que les collections John Hopkins II, Nelson Rockfeller et, en Haïti, la collection Lisa Assad de la villa créole ", sont les principaux endroits où l'on retrouve ses canevas.
Roland Dorcély meurt à 87 ans à New York en 2017.

Néhémy Jean

L'une des oeuvres notoires de l'artiste, c'est la peinture murale réalisée in situ en collaboration avec son maitre, le peintre Dieudonné Cédor, au terminal de l'aéroport International François Duvalier (Aujourd'hui Aéroport International Toussaint Louverture). L'histoire de ce géant avec sa palette, ses couleurs et ses formes commence avec son admission au cercle des artistes populaires du centre en 1947. Plus tard, les tensions du Centre le pousse à devenir un des contestataires qui donnera naissance au Foyer, il administre même ce dernier. Il a fait des études de dessin, de peinture et de composition à Arts Students League de New York, des études d'Histoire de l'art, d'Esthétique, d'Anatomie artistique et d'Anatomie comparée à Columbia University. Ce graphiste, peintre et portraitiste a etudié à New York et au Brésil. Ses différents travaux réflétent ses trajets à l'étranger. Il fut consultant puis directeur à la galerie Nader de 1966 à 1969. Né à limbé en 1931, Nehemy Jean décède en 2007.

Jacques Gabriel

De mère couturière et de père employé de commerce, Jacques Gabriel respire l'air tropical d'Haïti pour la première fois le 12 octobre 1934. Il rencontre Alexandre Jeanty en 1954 qui l'amena au Foyer des Arts Plastiques où il eut Dieudonné Cédor et Roland Dorcely comme professeurs. Rebelle, il eut une altercation dans le périodique Reflets d'Haïti avec Félix Morisseau Leroy au sujet de la peinture naïve. Il visita les États-Unis, la Belgique, l'italie en quête de connaissances. Après une vente de toiles fructueuse, il s'envole pour la ville lumière où il découvre les gloires du surréalisme. Fort de sa vaste culture, il injecte ses expériences dans chaque coup de pinceau. Culture qui lui permit plus loin de devenir un grand critique.

Jean René Jérôme

Intéressé par les champs artistiques (danse, théâtre, dessin, peinture, chant), il étudie le dessin et la peinture à l'École des Beaux Arts. Jean René Jérôme a vu le jour le 17 mars 1942 à Petit-Goôave et est mort en 1991. Sa famille ayant emménagé à Port-au-Prince, il a fait ses études classiques au Petit Séminaire Collège Saint-Martial et au Collège Moderne. Les ateliers Cédor, Lazard, la galerie de Brochette à Carrefour, en 1960, sont ses principaux lieux de rendez-vous avec l'art. Vainqueur du premier prix du concours Salon Esso, Jean René choisit alors les arts visuels notamment le médium pictural comme compagne. Il ouvre son propre atelier de peinture à la Rue Bonne Foi en 1967. Il reçoit en 1970 une bourse du gouvernement américain lui permettant d'aller se former, peaufiner sa technique, visiter des musées et galeries chez l'oncle Sam. Pendant sa formation, il se joint à Bernard Séjourné, les deux sont vus comme "des peintres marasa" selon Pierre Clitandre. Revenu au pays, avec ses confrères Bernard Séjourné, Jean Claude Legagneur et Philippe Dodart, il met sur pied "l'École de la Beauté". Il fonde en 1985 avec son épouse, une jeune enseignante, "les Ateliers Jérôme" où il expose ses peintures et celles d'autres artistes mais qui sert aussi à la médiation et l'animation culturelle. En 1986, il bénéficie d'une bourse d'étude du gouvernement israélien. Sculpteur et céramiste, il produit en 1987 deux oeuvres qui lui conférera définitivement le statut de sculpteur : la fresque du Palais de l'art et la statue Marchaterre, en hommage à la résistance paysanne lors de l'occupation américaine.