Sept ans après la sortie de son premier album intitulé "Rêve Grand", Darlin Johancy Michel, de son nom d'artiste Darlinjohancy, nous propose ce qu'il appelle un carnet d'aventures sonores : Imana.

Darlinjohancy est Carrefourois. Il s'est installé à Jacmel, chef-lieu du département du Sud-est d'Haïti, depuis 2017 suite à une résidence artistique en vue de la préparation d'un deuxième album qui n'est toujours pas en circulation. L'ancien champion de la catégorie jazz de Next beat Haiti 2017 est un musicien de grand calibre. Pianiste, guitariste, arrangeur, la musique est pour lui le plus sûr medium dans sa quête de lumière. La musique de Darlin est un sommeil léger, un guide de la quintessence. Darlin est aussi un artisan de mots. Un chantre des Gouverneurs de la rosée.

Se nan tèt mòn ki gen lavi
yo ki premye wè solèy souri
si mòn pa bay lavil peri

Pran chimen mòn janbe kalfou
al depoze tout chay ki lou
pa tann two ta, pran douvan jou (extrait de chèche lavi)

Imana contient douze morceaux : Imana, Eleman, Chache limyè, Sèvis, Èske Bondye pale kreyòl, Sekrè lavi a, Kreyatè mond lan, Nanka Nisi Nawe, 963, Ekri pou nou pa disparèt, Travèse et Vène. Il est disponible sur tous les plateformes de streaming.

Kafounews a rencontré le maestro. Voici un extrait de l'échange.

Kafounews.- Avez-vous cherché à créer où c'est la création qui vous tient à la gorge et vous oblige à accoucher du nouveau, du neuf comme c'est le cas par exemple de votre texte inédit titré "Akawo"?

DarlinJohancy.- Partant du point de vue qui veut que toute création soit une énergie qui choisit un canal pour se matérialiser dans un réel culturel, je dirai que j'ai été littéralement poussé à écrire et/ou produire. Akawo sort des entrailles de la masse défavorisée, c'est une poésie qui, écrite entre 2018 et 2019, a prédit à mon grand étonnement, tout le chaos que nous vivons ces jours-ci. L'énergie créatrice, à mon avis, choisit son canal, son temps d'incubation et surtout le bon moment de divulgation. Car tout acte de création témoigne de la volonté de l'univers à nous communiquer des messages proposant des sentiers inédits d'expériences de vie.

KFN.- Sortir des sentiers battus demande du courage. J'imagine que vous avez surmonté pas mal d'obstacles pour devenir le Darlin d'aujourd'hui...

DJ.- J'ai compris avec le temps que le Darlin d'aujourd'hui a toujours été celui qu'il est maintenant. La simple différence réside dans le fait qu'il n'était pas encore ouvert aux réalités d'éternité qui habitent toute matière. Et c'est la toute beauté des difficultés : elles nous imposent des remises en question constantes de toutes les certitudes acquises pour renaître à la toute dernière version qui, elle-même, attendra d'être remise en question. Passer par le feu tonifie, vivie, purifie.

KFN .- Vous venez de produire un album ayant pour titre "Imana". Comment décrirez vous cette proposition artistique à un curieux qui ne connait pas grand chose de la musique.

DJ.- IMANA est une invitation à un cheminement, un certain voyage dans les dimensions plurielles du son de la vie. J'aimerais utiliser le terme de carnet d'aventures sonores en lieu et place de l'album utilisé généralement.

KFN.- Parlez-nous un peu du processus de la création de cet album, disons de carnet d'aventures sonores. Les nuits blanches. Les moments d'exaltation et d'indécision.

DJ.- Je veux remercier d'entrée de jeu la coopération suisse pour son grand support à mes créations. Ils viennent régulièrement à mes Piano bar et mes soirées de performances live band du Vendredi à l'Hôtel Florita de Jacmel. La création de cet album est marquée par des douleurs multiples. Des chaos que l'année 2023 m'a apportés. Tôt le matin je me lève pour aller à la mer (lasaline) où je suis seul pour me baigner et méditer. Je rentre vers 8 heures pour prendre un bain de soleil sur mon balcon en recevant les directives de la journée. Puis direction studio pour la journée et parfois toute la nuit. J'étais assisté en permanence de Claire Mésine à qui je fais un grand coucou. Certains moments je devais abandonner, mais le processus de cette création m' a imposé de continuer. J'avais finalement eu des petits problèmes de santé, vu que je ne me reposais pas assez, je passais le plus clair de mon temps avec de l'eau et un peu de gwòg.

Merci aux musiciens talentueux : Bidjerry Guillaume (sax), Herbysson Pierre Basse, Schneider Saint Fort batterie, maestro Lélé tambour. Le jeune chanteur Natzart a fait un travail extraodinaire dans les choeurs et les leads. Symboliquement une voix feminine peut être entendue seulement dans les harmonies de "Sekrè lavi a".

Pour faire court : IMANA s'est créé.

KFN.- Quel est votre rapport avec la musique, le jazz en particulier?

DJ.- Je suis né pour faire de la musique à plein temps. C'est ma profession et aussi mon passe-temps. Quand je ne pratique pas, je joue pour le plaisir. Rire !

Le Jazz me permet tellement de liberté. C'est une forme d'expression artistique où la rébellion est norme. En effet l'improvisation propre au jazz, quoique théorisée, enseignée, est un appel constant à la révolte, à la non-normativité garante de toute la beauté diversifiée.

Le jazzman pense in and out the box. Savoir s'affranchir des limites, des instants, des goûts et/orientations artistiques imposés est un atout majeur que développent ceux qui pratiquent ce genre musical.

Imana a des racines dans toutes les traditions de notre race. L'esprit du Jazz est présent dans les arrangements, les improvisations, l'émotion et l'engagement de l'oeuvre envers la culture haitienne.

KFN.- À un moment vous avez dû arrêter votre étude de Diplomatie à l'Académie Nationale de Diplomatie Consulaire (ANDC) pour vous consacrer entièrement à l'étude et à la pratique de la musique. Qu'est-ce qui a occasionné ce déclic si vous partagez cet avis? Et racontez-nous comment vous avez rencontré cette passion pour la musique?

DJ.- J'ai grandi avec la musique. Mes premiers jouets étaient des instruments de musique aux dires de ma mère, qui elle même avait pris des cours de piano. Mon père comme tout bon jènjan capois de l'époque grajait un peu la guitare, selon ses mots. Ce dernier possédait des 33 tours à la maison. J'ai grandi en écoutant du magnum band, Septentrional, Tropicana, Zèklè. Abandonner la diplomatie était pour moi le moyen de reprendre le contrôle sur ma vie. La pression sociale pour apprendre un métier pour gagner sa vie ne me convenait pas. Je voulais pas "gagner" une vie que j'avais. Je voulais prendre soin de moi en faisant ce pour quoi je suis venu dans ce monde. J'ai compris que je suis fait pour vivre de musique et de poésie. C'est cette celébration de fragilité de l'humanité qui me rend heureux, comblé.

KFN.- En écoutant Imana, les mots exquisité, sérénité, bien-être me viennent à l'esprit. Bon, ce sont peut-être des sensations personnelles. Et vous, étant créateur de l'album, que ressentez-vous en le consommant? Nous partons du principe que le créateur ne peut ne pas consommer sa production.

DJ.- C'est exactement ce que IMANA propose : une aventure personelle avec le son de la vie. J'écoute IMANA chaque jour, j'éssaie de comprendre le pourquoi de chaque arrangement, le pourquoi de chaque choix sonore, chaque parole. Les mots de IMANA ne sont pas toujours dits pour être audibles mais ressentis. Les vibrations d'IMANA me font bon effet avec du café sans sucre que je prends régulièrement.

KFN.- On dirait qu'il contient aussi du gospel?

DJ.- Rire, IMANA est éminemment "BLACK". Le Gospel est à mon avis la version christique du vodou african. Né des rencontres de spiritualités plurielles, le gospel explore toujours des harmonies solaires, le Gospel chante le Soleil de justice, la lumière du monde. J'ai suivi l'exemple de la nature en mariant ce solaire à la lune des tambours Mayi, Pétro,Nago, Congo. Je n'ai pas à choisir entre deux éternités, je ne fais que passer entre les deux dans le vortex du temps.

KFN.- Di nou non, kisa "Imana" vle di (rire).

DJ.- Rire ! J'aurais tellement aimé que les lecteur.trices de Kafounews fassent eux-mêmes cette fouille dans l'histoire de la race humaine.