Le citoyen et les banques: la chute vertigineuse vers la déshumanisation  

Le citoyen et les banques: la chute vertigineuse vers la déshumanisation   


 
Le juste milieu se situe entre deux vices l’excès et le défaut nous dit Aristote[1]. Il constitue la perfection vers laquelle l’être humain peut tendre. L’excès en tout nuit. Cette maxime découle  de l’axiome Aristotélicien. L’excès, même dans le bien, peut être néfaste. Ainsi, trop d’amour tue l’amour. Pour se faire une idée des effets exponentiels de ses maux, il suffit de jeter un regard impartial chez nous.
 
Dans une société fondée sur le mensonge, le paraître et les rapports de domination, la propension à l’exagération constitue la norme. Il ne s’agit nullement d’un épiphénomène. Loin s’en faut ! Au plus haut sommet de l’État les passions tristes font la loi. L’intérêt général n’est jamais à l’ordre du jour. Le copinage, le relationnel supplantent l’institutionnel. Dans ce cadre, que reste-t-il de l’humain?
 
Un être humain c’est, avant toute chose, la dignité. Vivre sans accès à l’éducation est possible. Vivre désargenter aussi. Vivre dans l’indignité rapproche l’être humain d’une certaine forme d’animalité à laquelle il est étranger[2]. Ses causes profondes se trouvent enfouies dans les entrailles même de la collectivité. Dans une société ou l’avoir réduit à sa plus simple expression la dignité, chaque jour qui passe propulse inéluctablement les gens modestes vers la déshumanisation, l’invisibilité.
 
Sans vouloir adopter une posture victimaire,  l’âpre réalité à laquelle les déposants des banques sont confrontés ne peut pas ne pas interpeller ce qu’il y a d’humain en nous. En effet, pour une transaction banale, certains se réveillent très tôt, parcourent à pied des dizaines de kilomètres avant de camper en faction, des heures durant, sans pouvoir pénétrer sur la cour de la succursale. Quelques heures plus tard, debout sous le soleil où sous la pluie, ils sont encore entassés comme des sardines à attendre dans la plus parfaite indifférence du personnel de la banque. Parfois, pour chasser leurs frustrations ils s’invectivent et se chamaillent entre eux. Les moins robustes finissent, à leurs corps défendant, par s’asseoir à même le sol avant de bénéficier du privilège de réaliser une petite transaction sur leurs comptes. Comment accepter un tel traitement alors qu’ils font le succès du système bancaire et la richesse de ses actionnaires?
 
Bien entendu, une kyrielle de questions se bousculent dans la tête d’un observateur non- haïtien. Mais, la réalité ne choque plus personne dans ce pays ou l’inqualifiable, l’innommable, l’inacceptable et le grotesque se placent au sommet de la pyramide des valeurs et forcent l’admiration. Faut-il se demander de préférence en 2022 ce qu’est une personne en Haïti? Seuls les nantis peuvent se risquer à formuler une réponse. Ils sont seuls maîtres à bord. Il existe selon eux des humanités superposées. Rien que cela!
 
En attendant un sursaut de dignité de la part des déposants, de rudes travailleurs, leurs tribulations pour une simple transaction dans les banques continueront inexorablement. Comme dirait le chansonnier :  « lajan n k ap kale n ».
 
 


[1] Aristote dans la deuxième partie de son livre Éthique à Nicomaque traite du concept de la vertu dans différents domaines notamment dans la morale. Là, précise-t-il elle est une moyenne entre deux vices, l’un par excès, l’autre par défaut (in Éthique À Nicomaque, Garnier-Flammarion, 2004, P.117)
[2] Pour approfondir la question, lire la Métaphysique des Mœurs de Emmanuel Kant

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Franck S. Vanéus 43

Avocat et Philosophe...

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1 Commentaires

  • samanouelouis@gmail.com

    January 20, 2023 - 11:17:24 PM

    L’inqualifiable, l’innommable, l’inacceptable et le grotesque se placent au sommet de la pyramide des valeurs et forcent l’admiration.