Eric Jean-Baptiste: un homme tombe et mille familles périssent  

Eric Jean-Baptiste: un homme tombe et mille familles périssent  

Le tenancier de Borlette à succès, gauche, timide, s’était peu à peu transformé en un nationaliste zélé. Par moment, Éric semblait inspiré. Il n’était pas un scholar mais son parler franc, presque candide, plaisait à ceux qui écoutaient ce jour-là. J’en riais. Je ne pouvais certainement pas prévoir qu’il s’agirait de notre dernière rencontre.
 

Le sommeil naturel n’est plus à la portée de tous. Nombreux sont ceux qui ne dorment presque plus du sommeil du juste en raison des évènements troublants qui secouent la planète. Le monde contemporain dans son consumérisme ultra-libéral rejette de plus en plus l’humain. L’avoir prime sur tout, même sur la vie. Les politiques pensent à tout, sauf à la vie. Elle se vit de plus en plus dans les sociétés dites avancées comme une fatalité. En Ayiti la vie tend à dépérir jusqu’à devenir une banalité.
 
Ce lundi la population carrefouroise s’apprête à mettre en terre Éric Jean-Baptiste, un de ses fils, assassiné dans des conditions atroces. Lorsque des proches m’ont appris, très tard dans la nuit, le double assassinat, malgré moi, je me suis vu à sa place et je n’ai pu m’empêcher de me questionner sur la douleur de ma femme, de mes enfants et de tous mes proches. Cette sensation d’assister impuissant à la disparition d’un être cher broie les entrailles.
 
Je me suis dit cette nuit-là : «  les nouvelles en provenance d’Ayiti ne sont guère réjouissantes. Éric Jean-Baptiste mortellement atteint à l’entrée de chez lui, dans un premier temps, a finalement rendu l’âme à l’hôpital. L’agent de sécurité qui l’accompagnait aussi. Deux hommes de plus assassinés lâchement. La petite vidéo diffusée sur les réseaux montrant l’état de délabrement du véhicule à bord duquel ils se trouvaient, ne laissent aucun doute sur la nature des faits: préméditation et guet-apens. Beaucoup d’autres compatriotes, comme Éric, sont des morts en sursis par ce que en haut lieu, les puissants de ce pays planifient tout. Des élites pataugeant dans la mare de l’immonde. Que de rêves brisés!
 
Pendant une longue minute-éternité j’espérais me réveiller de ce cauchemar. Le miracle ne s’est pas produit. Le sommeil et moi reposons chacun dans son lit depuis très longtemps. Les cadavres de mes frères et sœurs innocents hantent mes nuits. Les textes messages affluent de toutes parts. Les mots apparus sur l’écran du portable ne font plus sens. Ils sont devenus dérisoires. D’une manière générale, le mot exprime une pensée, une émotion où une certaine réalité. Là, c’est le black-out total. Les mots n’ont plus aucun sens. Je ne comprends plus rien».
 
Je me remets en mémoire la dernière fois ou Éric et son agent de sécurité étaient venus chez moi très tôt un dimanche, des paquets remplis de bouquins sous les bras. Il s’était servi un double Grand Marnier avant de se lancer dans un grand discours sur les changements à opérer dans le pays en vue du grand sauvetage national. La jeunesse revenait sans cesse dans son propos. Une vente-signature des auteurs carrefourois ayant participé à livres en folie devait être réalisée au Centre Culturel quand la situation le permettrait.
 
Le tenancier de Borlette à succès, gauche, timide, s’était peu à peu transformé en un nationaliste zélé. Par moment, Éric semblait inspiré. Il n’était pas un scholar mais son parler franc, presque candide, plaisait à ceux qui écoutaient ce jour-là. J’en riais. Je ne pouvais certainement pas prévoir qu’il s’agirait de notre dernière rencontre.
 
La contemporanéité se manifeste chez nous dans toutes ses laideurs : chômage, violence aveugle, famine, richesse indécente. Les morts ne se comptent plus. A quoi ça sert de comptabiliser? Le projet est de nous tuer tous physiquement et moralement. Le temps de voir disparaître Ayiti n’est plus très loin. Ce peuple sera disséminé un peu partout sur la planète sans un territoire propre. Il se sera dilué puis éteint sans laisser de trace. Même l’esprit Ayisyen finira par s’évaporer.  Vive la bêtise au pouvoir! Vive l’ignorance dans son arrogance et dans sa plus simple expression!
 
Il n’y a pas si longtemps la rue disait que les intellectuels avaient échoué et que l’avènement des incapables au pouvoir changerait la donne. Le paysage politique a bien changé depuis. Les assassins opèrent à visières levées. Les kidnappeurs deviennent des artistes. Les artistes font de la politique et étalent leur ignorance encyclopédique.
 
Éric Jean-Baptiste et son agent ont perdu la vie à l’instar de Monferrier Dorval et de bien d’autres. Tous ont tort par ce que absents. Dans les évangiles, le Christ est ressuscité le troisième jour après sa mort, il est monté au ciel. Dans son cas, un retour est donc possible. Les morts sont si vite oubliés en Ayiti que bientôt on en parlera plus. Et la vie poursuivra son petit bonhomme de chemin. Hélas ! les funérailles de Éric Jean-Baptiste seront chantées symboliquement dans différentes localités du pays ce lundi. Que faire ? qu’adviendront-ils de tous ces jeunes qu’il encadrait ? La mort de Éric Jean-Baptiste propulse dans le monde des morts-vivants tant de familles et ferme tellement d’horizons à des jeunes talentueux. Ayiti est devenu un enfer. Cela ne saurait être le fruit du hasard. Vivre ou mourir ! Ayiti est à la croisée des chemins. Un homme tombe et mille familles périssent.  
 
Ayiti Nou pat vle wè se li n ap gade jodi a. Kale je Nou.


 
Franck S. VANÉUS, av.
Montréal

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Franck S. Vanéus 43

Avocat et Philosophe...

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3 Commentaires

  • Rachwlle Teliska

    November 13, 2022 - 07:27:18 PM

    R. I. P M.Eric Jean Baptiste

  • Rachwlle Teliska

    November 13, 2022 - 07:27:47 PM

    R. I. P M.Eric Jean Baptiste

  • Gregphile

    November 14, 2022 - 10:19:50 PM

    Très bon papier!