J’ai entendu une violente déflagration vers midi de ma chambre étant. Des cris d’horreur me sont parvenus. De la fenêtre, j’ai vu des gens affolés courir dans toutes les directions emportant, dans un désordre indescriptible, un sachet sous le bras, une valise sur la tête, quelques objets de valeur, des pièces d’identité, leurs économies, tout ce qu’ils possèdent en somme. Des motocyclistes, des automobilistes, pris de panique, fuyaient à vive allure le lieu du sinistre. En effet, un incendie venait d’éclater dans une résidence servant de lieu de stockage de produits pétroliers.
 
Les informations recueillies, après coup, ont fait état de plusieurs blessés graves, transportés d’urgence à l’hôpital. Il semble que les victimes soient de potentiels petits détaillants venus s’approvisionner. Dans cette Ayiti livrée à elle-même, la vente au détail desdits produits rapporte gros. L’incendie a soufflé une petite église juste en face de la maison complètements consumée. Fort heureusement pour les fidèles, la journée de prière s’est achevée , aujourd’hui, un peu plus tôt que d’habitude. Dieu existe, encore! D’ailleurs, des sœurs inspirées soutiennent qu’elles avaient été prévenues en songe.
 
Deux patrouilles de la Police Nationale sont arrivées sur les lieux très rapidement. Les officiers de police ont tenté d’établir un périmètre de sécurité. Les riverains sont passés outre les recommandations des forces de l’ordre. Entretemps, les autorités municipales ont dépêché des représentants sur place. Les sapeurs-pompiers de la ville brillaient par leur absence étant dans l’incapacité de venir en aide aux sinistrés, faute de moyens. Carrefour est abandonnée par les autorités du pouvoir central depuis deux ans. Rien de bien surprenant. Du temps de mon enfance, on disait: la balle roule sur la nationale. Tant que le Brésil gagne, Ayiti se porte bien. Et l’ignorance devient vertu!
 
La population dans un élan de solidarité s’est décidée à combattre le feu avec ses propres moyens. Quelques hommes ont concocté une solution à base de produits de nettoyage. Des seaux d’eau, dans une furie surhumaine presque équivalente avec celle des flammes, ont été lancés jusqu’à les circonscrire. D’autres hommes sont venus se joindre aux combattants du feu. Sous les yeux d’une foule tétanisée le feu résistait aux assauts humains. Finalement, des sapeurs-pompiers de la capitale sont arrivés sur les lieux. Ouf de soulagement!
 
Mais, comme souvent chez nous, le camion était vide. Les volontaires ont poursuivi leur combat inégal sans équipements. Le feu a rendu l’âme face la bravoure d’une poignée de citoyens mû par la seule envie de protéger la vie et les biens de leurs semblables. Les héros du jour ont reçu quelques poignées de mains, des tapes dans le dos et des sourires. Il n’en demandaient pas autant.  
 
Ce peuple pris en otage depuis une décennie par des élites indignes et incapables ne cesse de m’impressionner. Comment à coups de sauts d’une solution de produits destinés à la lessive parvenir à contenir un feu éclaté à la suite de l’explosion d’une citerne remplie de produits pétroliers? Qui a eu cette inspiration? Les gens font tout pour survivre quitte à mettre en danger. Chache lavi ka detwi lavi. À chaque fois que le désespoir s’installe en moi et que les envies d’ailleurs me font douter de tout, la joie de vivre, la solidarité, la générosité, la fraternité, l’ingéniosité de ce peuple extraordinaire me rappellent que je suis d’ici tout simplement. Ayiti coule dans mes veines.  


 
Carrefour ce 7 décembre 2022