Jeune danseuse haïtienne, Amandine Saint Martin met son corps au service de l’art et de la culture. À côté de la danse, elle détient plusieurs cordes à son arc. Qui est cette passionnée œuvrant dans l’ombre des médias en Haïti ? Lisez cette interview exclusive qu’elle a accordée à notre rédaction.
Kafounews : Qui est Amandine Saint Martin, cette femme timide mais très talentueuse qui met son corps au service de l’art ? Donnez-nous des informations bien détaillées concernant votre vie et votre carrière artistique ?
Amandine Saint-Martin : J’étais attirée par plusieurs arts, mais assez tôt, j’ai dû choisir. Et la danse a grandi la première, dans ma vie. J’ai fréquenté les académies de danse Alixanon puis Joëlle Donatien Belot, les compagnies Ayikodans, DanceForLife, Haitidansco et de Makerson François avant d’obtenir mon diplôme de l’École Nationale des Arts (ENARTS). J’ai découvert les danses classique, moderne, contemporaine, jazz, et…mes deux coups de cœur, les danses urbaines et le folklore haïtien. J’ai voyagé pour être en spectacles, en tournées et formations. Depuis 2017, à ma rencontre avec James Junior Celestin au sein de Global Hip Hop Haïti, nos rêves respectifs fusionnent. En danse mais aussi en musique, on se consacre à la recherche, à la formation, à l’innovation, à l’improvisation. Je suis actuellement directrice artistique, danseuse, chorégraphe, parolière, rédactrice, illustratrice et chercheuse…
KF News : Pourquoi la danse et le chant en même temps ?
A.S : J’ai laissé le piano et la chorale, faute de pouvoir m’y adonner comme l’exige mon caractère perfectionniste. J’éprouvais aussi, de plus en plus, l’envie insatiable d’embrasser les valeurs haïtiennes, le folklore, le vodou. Le folklore m’a formée et me mène encore vers des destinations rêvées ou insoupçonnées. Je me suis remise à chanter, je danse, je joue aujourd’hui pour incarner Haïti. Danse, chant, traditions ne font qu’un véritablement dans les lakou. Je ne veux plus me diviser sous prétexte de me spécialiser.
KF News : Hormis la danse, qu’est-ce que vous faites dans la vie ?
A.S : Je suis artiste, entrepreneure, chercheur, professeure, auteure. Je suis également praticienne en massothérapie, normalienne éducatrice, photographe, fondatrice de Lamayòt Carterie d’Art …
KF News : Vous n’avez aucun regret d’avoir choisi de danser ?
A. S : Non, jamais, pas une fois je n’ai senti que je m’étais trompée même dans les moments où tout stagne. Au contraire, ma danse est dans ma vie, un indice de santé, d’équilibre, de productivité, de résistance et de croissance économique.
KF News : Vous avez décidé de défendre les danses haïtiennes : traditionnelle, contemporaine, urbaine et folklorique. Pourquoi ce choix ?
A.S : Je me dois en tant qu’haïtienne de maîtriser d’abord ce qui relève de ma culture, du patrimoine que je porte et transmets. Ce sont des outils de notre diplomatie culturelle, de notre identité nationale. C’est ce qui nous représente le mieux sur les scènes internationales. Nos danses traditionnelles méritent une place de choix dans le monde des affaires, le marché du travail, dans l’enseignement et les loisirs. Même les danses étrangères ont leurs avatars en Haïti qui méritent d’être étudiés, enregistrés, portés philosophiquement par des discours, gérés comme un précieux capital.
KF News : Pensez-vous qu’il est nécessaire de faire de la danse un outil à la fois politique et culturel ? Si oui, comment ?
A. S : La culture et la politique culturelles déterminent la perception de la danse, son rôle, son usage, son accès dans l’espace public. En tant qu’art public, la danse a le potentiel d’induire des mouvements culturels mais aussi politiques. Certes, le secteur même de la danse fonctionne comme une entité communautaire avec une structure politique, des rapports hiérarchiques d’organisation, de management, d’autonomisation, de contrôle. Les danseurs ont la capacité d’exprimer avec force de persuasion leur approbation ou leur réprobation, de générer de la protestation en masse et de perturber un rapport de force. Le corps qui danse a le pouvoir de dépeindre, de façonner ou de déconstruire des représentations non négligeables de l’identité nationale, culturelle et rituelle ou de l’identité de genre. Elle a des dimensions idéologiques, spirituelles, ludiques, novatrices que les politiques de l’ordre public peuvent craindre, interpréter comme offensives, subversives ou tentent souvent de se réapproprier à leur avantage. Tout un ensemble accompagne la chorégraphie ou la performance : le son, le costume, les accessoires, la mise en scène, le texte etc. Au sein d’eux, la danse est une rhétorique muette, comme le note Thoinot Arbeau . Elle peut se faire provocation, résistance, parodie, ironie, pastiche de la société ou du régime qu’elle critique.
KF News : Vous étiez sélectionnée pour la 9è édition de la résidence du festival 4 chemins l'année dernière. Quelle a été votre impression... ?
A.S : C’est une première, un honneur, un plaisir et une opportunité. Un grand Merci à l’Association 4 Chemins de cette heureuse initiative. Mon équipe est enchantée de faire ces ateliers, de satisfaire les bénéficiaires, de créer des liens et nouer des partenariats. Je remercie particulièrement la Bibliothèque de l’Université Quisqueya et l'École d’Art Dramatique (ACTE).
KF News: Parlez-nous un peu de votre projet ATELYE KÒ PWO.
A.S : ATELYE KÒ PWO est une cellule de formation et de recherche en danse, fondée par James Junior Celestin et moi-même. Nous ciblons diverses compétences dont l’improvisation en danse, comme objet de connaissance théorique, pratique, esthétique et pédagogique. La séance dure en moyenne 4 heures de temps et accueille douze (12) participants(es). Elle se fait avec un accompagnement musical live (tambour et guitare). Elle dure plusieurs jours et des restitutions d’ateliers permettent au public de jouir des performances d’improvisation mises en scène.
KF News : Pourquoi l’improvisation ?
A. S : L’improvisation éveille le sens de la construction identitaire de soi. Prendre le risque d’explorer ses potentialités. C’est un exercice de discipline autant que de liberté. Elle promeut l’autonomie du danseur dans le processus de création instantanée. La simultanéité du mouvement et de son auto-perception. Donner libre cours à certaines émotions refoulées, taire l’autocensure. Le corps technique est une construction culturelle ayant ses circonstances historiques de création et d’évolution. Ces canevas peuvent être remis en question ou écartés pour faire place à sa propre gestuelle.
KF News : Quelle est la dimension politique du projet ATELYE KÒ PWO ?
A. S : ATELYE KÒ PWO tente d’apporter des solutions à la rareté de la formation professionnelle en danse libre, aux difficultés liées à la création et la production de spectacles chorégraphiques, au problème lié au curriculum de formation en danse en Haïti, au problème de l’inclusion des personnes en situation de handicap. Il promeut et favorise l’accès à une pratique communautaire de la danse libre. Il permet à chaque participant(e) d’avoir un coaching personnalisé jusqu’à la création d’un solo et d’une œuvre collective réellement représentée grâce à notre collaboration avec la Bibliothèque de l’Université Quisqueya, espace universitaire consacré à la recherche. Le protocole de formation est conçu théoriquement et pratiquement pour une progression en continuum. Aucune technique n’est privilégiée, ce qui évite les discriminations et stigmatisations liées au corps technique, habituellement posées dans les écoles ou les troupes de danse. La méthode se veut inclusive.
KF News : Si vous voulez ajouter quelques précisons, vous pouvez le faire ici dans cette partie.
A. S : Merci Kafounews. Que l’Art nous rende plus Haïtiens.
Propos recueillis Wilder Sylvain
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