Il était une voix. Une voix toujours détendue sur des accords de guitare, chantant des notes mélancoliques pendant près d'une quarantaine d'années pour dénoncer sans aucun artifice l'horreur que connaissait le pays durant la dictature des Duvalier. Armé de sa guitare, Manno chantait la mauvaise gouvernance, la misère, la souffrance de cette Haïti éventrée par des chasseurs en quête du pouvoir et tentait, à travers son engagement, de mettre un peu de lumière sur certaines zones d'ombres debnotre société comme les travaux forcés à la factorie, la traque contre les militants politiques ou les exactions des tontons macoutes. Le parcours de Manno dans la musique haïtienne est unique.

Né d'une mère répudiée

Le 14 avril 1948 au sud de Port-au-Prince, Joseph Emmanuel Charlemagne est né. Il a grandi chez sa tante aînée Antonia sans jamais rencontrer son père. Sa mère, Euchariste Charlemagne, fut tombée enceinte à l'âge de 19 ans. En vue de lutter contre la honte sociale, sa famille de religion catholique, la pousse au mariage. Mais Euchariste refuse. C'est ainsi que ses parents la répudient. Contre vents et marées, la jeune fille décida de mener sa vie comme bon lui semble et rencontra par la suite un jeune homme, Denis Barbave, qui deviendra plus tard le père "adoptif" de Joseph Emmanuel Charlemagne.

Les Remarquables, son premier mini-jazz

La musique fut révélée à Manno depuis son enfance. Sa tante aimait passer des heures à chanter des airs tranditionnels que le petit Manno reprendra plus tard dans ses textes. À l'école, Emmanuel récitait ses leçons tout en chantant, ce qui lui a valu plusieurs petites raclées. Ne pouvant peut-être plus supporter toutes les mélodies et paroles qui sillonnent toutes les neurones de son cerveau, Manno décida, de concert avec Michel Placide, Toto et Gérard Blain, de former "Les Remarquables", un mini-jazz qui a secoué tout le pays en général et la commune de Carrefour en particulier.

Quand les princes du port
garde(nt) en main le sort, ami
De miliers exilés, mal vu, mal du pays
Quand tu rêves la nuit
Exilé de ton île
Entends-tu tous ces cris ces rumeurs de ta ville?

Sa vie politique

De retour en Haïti après son exil le 7 mars 1986, Emmanuel Joseph Charlemagne a décidé de faire long feu dans la lutte politique sur l'île. Il fonde la Koral Konbit Kalfou, groupe de musique racine, mélangeant les rythmes du vaudou haïtien, la musique traditionnelle et d'autres genres contemporains. Avec ce groupe, Manno parcourt le pays. En décembre 1987, pendant qu’il sortait de chez lui pour interpréter « Nwel anmè » (Noël amer), une chanson composée par Beethova Obas, membre de la Koral Konbit Kalfou, pour honorer les manifestants massacrés un mois auparavant par la nouvelle junte au pouvoir, Manno Charlemagne essuie des coups de feu ; il est gravement blessé. Et une année plus tard, il publie un nouvel album: Òganizasyon mondyal.

Manno est de plus en plus connu dans le pays et sa voix peut faire pencher la balance politique haïtienne. C'est pourquoi il a décidé de soutenir Jean Bertrand Aristide. En octobre 1991, après le coup d'état contre le président Aristide, Emmanuel Charlemagne est arrêté à deux reprises puis relâché grâce à la pression d'organisations de défense des droits humains dont Amnesty International, Miami's Haitian Refugee Center et une campagne de presse aux États-Unis demandant sa libération. Craignant une nouvelle arrestation, il se réfugie à l'ambassade d'Argentine à Port-au-Prince. En décembre 1991, Manno part encore en l'exil. Un an après son retour en 1994, il est élu maire de  Port-au-Prince en juin 1995 et le restera jusqu'en 1999, exerçant son mandat de façon polémique.

Sa mort

Au milieu de l'année 2017, Manno Charlemagne subit l'ablation d'une tumeur cérébrale à l'hôpital Mount Sinai de Miami où Il est mort le 10 décembre de la même année des suites d'un cancer du poumon. Il reçoit des funérailles nationales le 22 décembre 2017 à Port-au-Prince puis est enterré à Verrettes. En hommage à ce qu'il a accompli, une rue de Miami a été rebaptisée en son nom, dans le quartier de South Beach et à Carrefour, la commune qui l'a vu grandir, il y a un centre culturel qui porte aussi son nom : Centre Culturel Municipal Emmanuel Charlemagne.