Mackendy Jeunay, alias Citoyen Ken, est né à Carrefour, où il a également fait ses études classiques. Il a été étudiant à l'Ecole normale supérieure (département des langues vivantes) et à la Faculté d'Ethnologie de l'Université d'Etat d'Haïti où il a fait des études d'anthropo-sociologie, de psychologie et de développement. En outre, il est détenteur d'un master en études humanitaires à l'Université de Genève, en Suisse. Spécialiste en gestion de cycle de programmes/projets et en développement local, il est en même temps un activiste social dont les principaux thèmes d'étude sont la citoyenneté, le développement local, la bonne gouvernance, le pouvoir ainsi que les relations entre chrétienté et développement. Citoyen Ken est actuellement professeur d'anthropologie biblique et de méthodologie à UCEB (Union Centre d'Etudes des Béréens). Il contribue depuis une dizaine d'années à la formation biblique de nombre de leaders évangéliques. Il est également Directeur exécutif d'ACTIF (Action communautaire de transformation et d'intégration formelle) et de CADH Consulting, un cabinet de formation, qui offre des cours spécialisés dans plusieurs domaines dont l'entrepreneuriat. Il a répondu aux questions de Kafounews.

Depuis quelques temps vous animez des ateliers autour de la création d'entreprise, qu'est-ce qui explique une telle démarche?

Le chômage généralisé ne laisse d'autres choix aux jeunes que de se transformer en militants politiques (selon l'acception haïtienne du militantisme politique), de migrer vers d'autres cieux (dans des conditions le plus souvent illégales), de s'initier au banditisme social (notamment dans sa version étatique) ou d'emprunter le chemin de l'entrepreneuriat. Fort de ses expériences professionnelles en Afrique avec les Nations Unies, il promeut l'entrepreneuriat juvénile, à l'instar de ce qui se fait actuellement sur le continent africain, comme une alternative à la création de richesses et la circulation des revenus en Haïti. C'est dans cet objectif qu’il anime des séminaires de formation entrepreneuriale depuis un certain temps afin d'aider les bacheliers, les jeunes universitaires et les cadres à explorer davantage les opportunités de l'entrepreneuriat en les fournissant les outils nécessaires à cet effet.

Dans un pays comme le nôtre où le crédit est quasi inexistant, les jeunes sont majoritairement désargentés, comment d'après vous peuvent-ils se lancer dans le monde de l'entrepreneuriat?

Cette question pose la problématique de l'inclusion financière en Haïti. Celle-ci est définie comme "un état de développement du système financier où, par le biais de mécanismes efficients et sécuritaires, un large éventail de produits et services financiers est accessible à tous les particuliers et entreprises en Haïti de manière opportune, abordable et commode". Un simple regard sur le système financier haïtien montre que ce système est sous-développé par rapport à la taille de la population et inaccessible à la majorité des haïtiens. Ce constat est confirmé par l'étude sur l'inclusion financière réalisée par FinScope Haïti (2018) révélant que "46% des adultes de 15 ans et plus sont exclus financièrement et seulement 11% de la population sont bancarisées en 2018". Dans de telles conditions, les jeunes qui veulent s'engager sur la voie entrepreneuriale doivent faire preuve de créativité, développer des concepts innovants pouvant être testés à trais faibles coûts, développer des entreprises collectives et opter pour les financements alternatifs.

Et si vous identifiez des sphères qui,selon vous , présentent de très grandes opportunités d'entreprises ne nécessitant pas beaucoup d'argent.

Créer une entreprise sous-entend que l'on a identifié un besoin qu'on veut satisfaire ou un problème qu'on veut résoudre. Haïti étant un pays à problèmes, les opportunités d'entreprise sont donc énormes. À titre d'exemple, on peut considérer le secteur des vêtements (à condition qu'on promeut et développe la mode haïtienne), la récupération des déchets solides (il y en a partout en Haïti), la gestion des ordures ménagères, le e-business, etc. Les jeunes financièrement exclus peuvent se tirer d'affaires dans ces secteurs avec un capital minimum, de la réflexion et surtout des concepts innovants.

Quels sont, selon vous, les talents que doivent développer un jeune en vue de se lancer en entrepreneuriat?

La capacité de rêver, le flair, l'aptitude à réseauter et le leadership sont quatre talents que doivent nécessairement développer les jeunes qui aspirent à devenir entrepreneurs. En fait, un entrepreneur c'est avant tout un rêveur, c'est-à-dire quelqu'un qui ne se contente jamais de la réalité présente parce qu'il croit en la capacité créative quasi infinie de l'être humain. L'entrepreneur doit aussi être capable de flairer les bonnes occasions, c'est-à-dire saisir les opportunités d'entreprise qui s'offrent à lui. En outre, il doit faire montre d'une grande aptitude à réseauter, à se faire des amis, à intégrer des réseaux qui lui sont fermés. En d'autres termes, il doit être capable de laisser son monde pour aller à la conquête d'autres mondes quitte à abandonner quelques connaissances en chemin pour s'en faire de nouvelles. Les jeunes aspirant à devenir entrepreneurs doivent savoir que l'entreprise du 21ème siècle est moins une question de capital qu'une question de réseaux. Enfin, et ce n'est pas le moindre des talents, l'entrepreneur doit faire preuve d'un grand leadership car cela est incontournable dans le succès d'une entreprise.

Avez vous des livres à leur proposer?

Pour ceux et celles qui veulent se lancer dans une carrière d'entrepreneurs, je recommande particulièrement les ouvrages suivants:

1. Le grand livre de l'entrepreneuriat de Catherine Léger-Jarniou paru en 2013.
Un ouvrage collectif faisant un état des lieux de toutes les problématiques liées à l'entrepreneuriat en présentant les enjeux de chaque thématique, les faits marquants depuis dix ans, les points importants actuels, les challenges et l'essentiel à retenir.

2. Comment construire le futur de Peter Thiel paru en 2014
Un ouvrage qui invite à explorer de nouvelles façon d'entreprendre en mettant l'innovation au cœur de la démarche entrepreneuriale afin de maîtriser l’incertitude pour bâtir quelque chose de ses propres mains.

3. La semaine de 4 heures de Timothy Ferris paru en 2007
Dans cet ouvrage l'auteur montre comment la majorité des personnes qui travaillent toute leur vie de 9H à 17H pendant 40 ans pour prendre leur retraite à 60 ans (ou plus) ; peuvent briser ce cycle infernal de l'emploi et disposer de leur temps comme ils le souhaitent.

4. Lean Startup de Eric Ries paru en 2011
Un ouvrage proposant une méthode dynamique de travail développée par Eric Ries, pour améliorer radicalement les chances de succès de tout nouveau projet. Comme bien d'autres ouvrages, il met l'accent sur la nécessité d'innover pour se tailler une place sur l'arène entrepreneuriale.

5. Hard things, entreprendre dans l'incertitude de Ben Horowitz paru en 2014
Un ouvrage qui retrace les difficultés affrontées par Ben Horowitz en tant que fondateur et PDG de son entreprise. Sur la base de ses expériences, il prodigue des conseils à ceux qui sont tentés par l’aventure de l'entrepreneuriat.

6. Père riche, père pauvre de Robert T. Kiyozaki et de Sharo Lechter paru en 1997
Un ouvrage captivant qui invite le lecteur à développer son intelligence financière en la fondant sur le monde réel.

7. L'entreprise du 21ème siècle de Ribert T. Kiyosaki en collaboration avec John Fleming et Kim Kiyosaki paru en 2012
Un ouvrage qui vante les mérites du marketing relationnel considéré comme la véritable caractéristique de l'entreprise du 21ème siècle.