Inéma Jeudi: La poésie est un état de grâce productrice d’effets majeurs et d’étonnement habitable

Inéma Jeudi: La poésie est un état de grâce productrice d’effets majeurs et d’étonnement habitable

Il est l'une des meilleures plumes de sa génération, Inéma Jeudi a déja publié plus de six recueils de poésie dont "Krèy bòbèch" et "Gouyad legede". Savourons cette entrevue inédite qu'il a donnée à notre rédacteur en chef.

Gabynho-: Aujourd'hui le monde va mal, les choses s'embrouillent, l'on se cogne la tête sur quoi demain sera-t-il fait, madame Covid 19 change tout. Pensez-vous que la poésie peut jouer un rôle dans cette quête de sens du futur?


Jeudinema-: En Haïti, puisqu’il faut absolument parler d’un lieu en particulier, Covid-19 n’a pas atteint son ambition de sabrer la vie humaine comme prédit par les experts de “contrefaçon de la parole publique”. Tant mieux! Confinés depuis toujours, les poètes, en quête d’indicible et d’inconnus, ne respirent que par leur poésie engendrée par les hostilités quotidiennes, inspirée des manques variés, de l’atmosphère chaotique et des non-sens évènementiels. Habitués à brasser du vent pour fonder l’amour, nourrir l’espoir, les poètes vivent en marge des bruits assourdissants qui font actualité. La poésie qui fait poète n’a jamais cessé d’être port d’attache, haut lieux de respiration humaine. Elle tire sens dans l’incommunicable, l’informe, l’incertain droit de cité. En cette période d’angoisse universelle elle rêve avec l’humain trop souvent tombé en panne d’utopie salvatrice.


Gabynho-: Avez-vous un recueil de poésie à proposer aux lecteurs de Kafounews en ces temps de grande panique?


Jeudinema-: Konfinmantal est un recueil de textes poétiques que je viens de courtiser en pleine ballade aux Gonaïves, Bombardopolis et Môle Saint-Nicolas. Grâce à la résidence Jacques Stephen Alexis initiée par les éditions La Rosée, j’ai marché de confinement en confinement, tenté de tendre nasse dans la mer des rumeurs qui travaillent l’esprit des confinés du Nord-ouest et de partout. L’intention est de sauver la mémoire d’un temps qui passe comme on trépasse. Il dit l’étouffement. Il dit la mort anticipée. Il dit contrat renouvelable avec la vie par toute sortes de résistance aux confins du mental « m envite tout powèm ki wè lwen yo
Powèm ki gen fyèl Alexis
Fè rèv sa avèk mwen
Bombardopolis »


Gabynho-: Quel est l'impact de cette période sur votre vie poétique?


Jeudinema-: L’impact n’en est pas un. Les contraintes existentielles de par le monde constituaient déjà une galère instituée pas la haute instance des arbitres étrangers. Ce n’est pas la Covid qui tue. C’est la politique des armes et des bombes, la corruption et l’esclavage moderne, la faim et les vaccins programmés qui nous tuent aux quotidien. La Covid ne fait qu’à grandir, ce qui a été dans l’univers de la conscience, notre fragilité, notre tribulation. La poésie est un état de grâce productrice d’effets majeurs et d’étonnement habitable. Elle se nourrit de sa propre substance. Vit de son propre impact sur l’instant, son éternelle matière.
« Moun Matisan
Vilaj Dedye
plis bezwen jile pa bal
Pase kachnen »


Gabynho-: Et si vous nous parlez un peu de votre dernier né: "Made in kay vwazen"?


Jeudinema-: Il s’agit d’un exercice épique qui ambitionne de rendre justice à l’empereur Dessalines Le grand. Le recampe dans sa dimension politique, spirituelle, la plus brave qui soit:
« Wòch la woule
Kris la monte
Tanbou a woule
Lwa desann
Manti a konn rasin li »

Par ce travail, né de la curiosité historico-citoyenne, j’espère, à ma manière, combler un vide monumental et épique dans l’histoire de la littérature haïtienne. Made in Kay Vwazen se veut aussi un regard jeté sur la mosaïque culturelle de la Caraïbe et la méchanceté qui fait son impensable histoire.


Gabynho-: Le titre est fait d'une imbrication d'anglais et de créole haïtien , qu'est-ce qui explique ce choix?


Jeudinéma-: Made in Kay Vwazen, entre guillemets, fabriqué en terre voisine, entend réorganiser le décor des enjeux humains, situer le cadre linguistique et spatio-temporel des mélanges complexes qui font des peuples caraïbeens un seul.
« Made in » pour attirer l’attention sur une commune mentalité morcelée, sur une trâlée d’identités semblables à brasser en une seule qui serait celle de l’Archipelle tout court. N’est-ce pas que Césaire se reconnaît en nous. Il a remarqué que la négritude s’est mise debout pour la première fois içi, en Haïti. Le débat reste ouvert. La créolité est une autre face de la même médaille qui nous identifie voisins historiques de la traversée humaine et du tragique à dépasser en toute urgence, en toute dignité. J’ai toujours rêvé de faire un texte aux frontières déplacées entre les gens et les genres, un texte qui prend les signes d’assaut sans partipri pour sa réussite. Ce texte s’use de la folie de Défilée pour recoller symboliquement les morceaux d’un être cher à la cause des noirs en général.

« Kay vwazen » se kay « zanmi lwen » nan chante selèb Manno Charlesmagne lan. Sa publication est confiée à C3 éditions. Il n’est que d’attendre!


Gabynho-: Un vers pouvant résumer ce recueil...


Jeudinema-: « ...si lapezantè pat memwa
Kokennchenn so nou pran
Mwen ta bliye di anwetan labim
Pèsonn pa gen tè »


Gabynho-: Vous diriez quoi à un jeune qui voudrait se lancer dans l'arène de la littérature ?


Jeudinema-: Lire comme on respire!

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Blondy Wolf Leblanc (Gabynho) 100

Mémorand en psychologie à la Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti (FASCH-UEH), Gabynho est un acteur culturel très influent à Carrefour où il initie et coordonne "Festival Liv Kafou", "Semèn Jèn Ekriven Kafou" et "Week-end Poétique".

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1 Commentaires

  • Marc-Antoine FLEURISCAR

    September 03, 2020 - 10:38:38 AM

    Jeudi explique ds énormes ,, des causes de Revolte, c'est comme si c'est un Pasteur qui explique comment est né l'humanité ...Zantray