Le vieux conteur et son rêve  

Le vieux conteur et son rêve  

Il était une fois un royaume enchanté où les gens vivaient sous l’emprise d’un mal absolu. Ils s’éveillaient très tôt le matin et partaient, machinalement, à la recherche d’un trésor enfoui dans le ventre de la montagne Shalaya dont les hauteurs se perdaient dans les nuages. Le soir ils regagnaient, têtes baissées, dans une queue interminable, leurs demeures fatigués et déçus. Chaque homme, chaque femme, chaque enfant de ce pays obnubilé, depuis des temps immémoriaux, par  l’histoire d’une petite pierre précieuse dont l’éclat si grand aveuglait presque tout un peuple, oblitérant tout autre rêve, faisait et défaisait toutes sortes de projets à l’idée de mettre la main sur ce fameux trésor. Ils se désintéressaient de tout le reste. Qui avait inventé cette histoire sordide et à quelle fin? Nul ne savait. Pourtant, elle leur enlevait le sommeil la nuit, faisant tourner les têtes le jour au point de fétichiser le précieux objet.
 
Un personnage étrange arriva un jour dans la cité ensorcelée. C’était un homme âgé. Ventripotent, le teint grisonnant, la tête ronde et grosse comme une calebasse, le visage allongé, le regard candide mais tranchant comme un couteau de boucher, découpant dans le menu détail le caractère de celui sur lequel il s’attarda. Il prit une chambre modeste dans une petite auberge. Scrutant les gestes, les silences, les regards, écoutant d’une oreille attentive chaque conversation, il ne mît pas longtemps à saisir l’ampleur du mal, grand comme l’univers, qui rongeait ce peuple riche de son opiniâtreté, de sa volonté inébranlable de suivre son chemin, de poursuivre son rêve même au plus profond du désespoir et pourtant si misérable dans sa quête d’un trésor chimérique au quotidien. Contemplant cet acharnement à reproduire au jour le jour avec la même ardeur et une inextinguible flamme dans les yeux, les même gestes, il devint admiratif. Et si cette énergie débordante était focalisée sur des objectifs concrets, cette petite communauté deviendrait une oasis, se dit-il. S’étant épris de ces qualités si rares chez les êtres humains, il se résolut à dessiller les yeux de quelques sceptiques. Il se mit à inventer tous les jours un conte pour enfants. Les jours s’écoulèrent. Le temps aidant, la rumeur d’un charmeur dans la cité ne tarda pas à circuler comme une traînée de poudre. Les contes enchantèrent les gamins. Quelques-uns délaissaient la quête incessante au trésor pour écouter, les yeux écarquillés, le regard songeur, le vieil conteur.
 
Les mères ne mirent pas longtemps pour attarder leurs regards sur leurs enfants, se détournant un instant de l’obsessionnelle pierre précieuse. Les nantis devinrent rouges de colère et décidèrent de se débarrasser du vieil homme. L’aubergiste tenta de le raisonner, l’incitant à déguerpir. Peine perdue ! Plaire aux jeunes était plus qu’une simple passion. C’était sa mission. Il s’y arc-bouta de toute la force des convictions d’un homme du troisième âge. Une nuit, une foule endiablée s’attroupa à l’entrée de l’auberge exigeant qu’il leur soit livré. L’aubergiste le pria de partir. L’épouse de ce dernier baissa la tête beaucoup plus en signe de résignation que de protestation.
 
Le vieux conteur rassembla placidement ses effets et se dirigea vers la sortie. Alors qu’il s’apprêta à dévaler les escaliers un petite main innocente tira sa chemise. se retournant, son regard rencontra celui du fils de ses hôtes. Le petit garçon marcha aux côtés du vieil conteur jusque dans la rue. On eut dit qu’une entente préalable avait été conclue entre les enfants. Car, d’autres accoururent. Bientôt, la foule des enfants dépassa en nombre celle des hommes. Stupéfaits, ils ne purent mettre à exécution leur macabre projet. Médusés, ils demeurèrent silencieux. Enhardis, les enfants reprenaient en chœur les contes un à un. Le charme était rompu. L’étranger traversa la Grand-rue de la ville entourée des enfants. Ce jour-là, les jeunes avaient conquis leur droit de rêver. Libres au parents de s’enferrer dans leur vie chimérique. Il doit y avoir d’autres trésors bien plus précieux dans l’existence. En attendant, la providence leur permettait de saisir au vol un bonheur inespéré : partager le quotidien d’un vieux rêveur.
 
Et si je vous disais que le vieux rêveur se nomme Gary Victor, me croiriez-vous ?
 
 
 
 

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Franck S. Vanéus 44

Avocat et Philosophe...

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