Tout est bouillant dehors. Avec ce bruit incessant de klaxons, cette chaleur insupportable prête à nous brûler la peau, cette poussière aveuglante et cette misère noire qui nous enlève tout ce qui nous reste d'humain dans ce pays à feu et à sang ; rien ne peut entraver notre descente dans le royaume d'Hadès. Ce matin, dans les rues bondées d'animaux affamés, chacun regarde l’autre avec une envie telle qu'il semble lui signifier, à tout moment, sa disposition à lui sauter à la gorge, lui arracher la peau, tant la faim les tient par les couilles. Ici, tout homme traîne après soi la mort ; chaque pas effectué sur ce morceau de terre réduit la distance séparant notre tombeau de nous même. Vilason le savait et décidait de jouer le tout pour le tout avec le destin. Debout devant cet homme vidé de son sang avec les orbites débarrassées, Vilason franchit le Rubicon et donne le signal pour plonger dans l'animalité.
Pourquoi hésiter ? D'ailleurs personne ne peut manger sur cette terre ; nulle part nos fils ne sont à l'abri du mal et du danger, alors pourquoi hésiter à dévorer son prochain ? Que diable nous empêche donc ? Quel secret des dieux a-t-on révélé pour être ainsi condamné à la Tantale ? Vilason n'en a que faire, et décide lui-même de s'engager sur ce sentier dépourvu de toute humanité. D’ailleurs, plus rien ne le retient. C’est même devenu une banalité depuis la disparition de ses parents, assassinés deux jours plus tôt par Bernard, son voisin. Ce jour-là, son père et sa mère partaient vendre au marché les derniers mobiliers de la maison : une vieille table bancale, un lit en fer et trois gallons pouvant servir à transporter de l'eau. Tout a été vendu, mais au retour ils ont eu la malchance de rencontrer Bernard qui les a dépouillés de tout après les avoir poignardés. Pourquoi donc Vilason aurait hésité ?
Haïti, capitale de la géhenne, est devenue cette terre méritant l'observation de tout expert digne. Quiconque observe bien peut voir que la raison tant vantée par l'homme n'est en fait rien ici, que la frontière séparant l'humain de l'animal n'est que vue de l’esprit. Comment peut-on être raisonnable quand on se sent menacé à chaque instant ? Quand on est obligé de survivre ? Quand on est sur le qui-vive à l'approche de nos prochains ? Quand à tout moment on peut recevoir une balle perdue ? Alors pourquoi hésiter ? Pourquoi ne pas vouloir être comme les autres ? S'ils ont des armes, des politiciens pour leur fournir tout ce dont ils ont besoin, dans ce cas nous devons nous armer de ce que nous possédons déjà : notre bestialité. Nous avons déjà été sauvages, pourquoi ne pas le redevenir aujourd'hui ? Pourquoi ne pas lui laisser libre cours, surgir, prendre le contrôle ? Il est évident qu'aujourd'hui c'est sur nous mêmes qu'il faut compter, nos élus agissent dans le sens de leurs intérêts, donc contre nous, contre la collectivité. Nous n'avons plus d'autre choix que de devenir des loups pour enfin s'en prendre à ceux qui nous empêchent de vivre, de circuler, d'aimer, à ceux qui assassinent nos frères et sœurs. Vilason vient tout juste de le faire. En effet, debout, un homme vidé de son sang avec les orbites débarrassées, gît à ses pieds. Vilason contemple son œuvre.
Pour Vilason, quoi de plus facile. Il se venge. Il a un mobile. Nous avons tous un mobile pour commettre toutes sortes de crimes. Si l'État ne peut pas satisfaire nos besoins les plus élémentaires, nous avons le droit de commettre même les actes qui répugnent les anges de l’apocalypse. Vilason ne s’embarrasse de manières. Toutes les conditions sont réunies pour opérer sa transformation et devenir ce qu’il doit être. La menace par les membres de gangs rivaux, la faim qui l’étreignait de tout son être, les boyaux en feu, ajouté a tout cela l’assassinat sanglant de ses parents, créent les conditions objectives du parfait mobile. Alors, il s'est réveillé ce matin, avec la ferme intention de réaliser ses desseins. Se dirigeant vers la cuisine, il prit un couteau et sortit de son domicile.
Les yeux de Bernard !
Dehors tout est bouillant. Bruit incessant de klaxons, chaleur insupportable et poussière aveuglante. Il fit quelques pas. Traversa la rue et alla directement dans la maison en face de la sienne. Il frappa deux coups secs. Attendit qu'on lui ouvre. Une fois la porte entrebâillée, d’un mouvement brusque il lui donna un violent coup de pied et entra dans la pièce sans même laisser à ses voisins le temps de l'inviter à entrer. Il plongea sur Bernard en prenant soin de bien enfoncer le couteau dans sa poitrine. Bernard tomba, le souffle court. La pièce avala les cris de ses propriétaires sous une chaleur suffoquante. Personne de l'exterieur ne pouvait entendre ce qui se passait. La pièce sentait le moisi. Elle était presque vide, n'avait que des draps déposés à même le sol faisant office de lit. Vilason retira le couteau et l'enfonça de nouveau dans la poitrine du meurtrier de ses parents. Puis, toujours avec l'ustensile de cuisine, il enleva les yeux de Bernard pour les mettre sous sa dent, les mastisquer afin de bien venger l'assassinat de sa mère et de son père, et aussi pour apaiser sa faim.
Leon'art Charles 62
Je suis un passionné de lecture et d'écriture
5 Commentaires
Franck VANÉUS
August 02, 2022 - 06:39:56 PMViolent! Excellent! Triste réalité! La notre, malheureusement.
Vene lPierre
August 02, 2022 - 07:55:01 PMPassionnant
J. Kendy Clermont
August 02, 2022 - 09:00:34 PMDémesurément percutant !????
Moïse
August 03, 2022 - 01:27:36 AMPar l'écriture tout a été dit tout a été dévoiler
Ken
August 03, 2022 - 02:43:22 PMSuper