Maman tu m'as nourrie, allaitée quand je n'étais encore qu'un fœtus puis un bébé sans rien me demander en retour si ce n'est que de l'amour et du respect. Quand je pleurais tu me consolais, tu me nourissais, m'habillais quand toi tu étais affamée et nue.  Tu as été la première personne qui m'a appris à aimer, à apprécier les petits cadeaux de la vie. Tu m'as appris à faire mes premiers pas, à m'habiller bref tu m'as tout appris sauf comment vivre sans toi. Tu étais tour à tour "madan sara","machann pèpè", "machann fritay" et suivant les saisons tu étais aussi "machann mango", "machann zaboka" et tant d'autres, juste pour pouvoir prendre soin de ton  enfant et payer ses frais de scolarité. Tu m'étais plus qu'une mère , tu étais aussi ma bricoleuse en me fabriquant des jouets avec ce que tu trouvais, ma cordonnière en me réparant mes chaussures fatiguées, ma couturière en me confectionnant des robes, rapiécant mes vêtements usés jusqu'à la corde, tu incarnais ma figure paternelle, tu étais mon amie, ma confidente, mon mentor, ma professeure malgré le fait que tu n'étais pas philosophe. Tu étais tout pour moi, celle qui donnait du sens à tout ce bazar qu'était ma vie. 

Dans les pires moments tu me tenais la main, tu apaisais mes craintes, tu marchais à mes côtés dans les chemins sinueux de la vie. Nous étions heureuses, nous n'étions rien que toi et moi contre le reste du monde. Souventes fois je me remémore la nuit, la tête posée sur mon oreiller inondé de larmes, les merveilleux moments que nous avions vécus ensemble, nos fous rires, les fois où tu me harcelais pour te donner des films à regarder sur mon téléphone, ta mine satisfaite quand je te disais : "vin gade fim nan non", je me souviens que tu aimais surtout les films romantiques contrairement à moi qui aime les films d'action, tu parlais sans cesse lorsqu'on regardait ces films, je te disais tout le temps de te taire même quand tu ne faisais qu'à ta tête, à la fin de chaque film tu donnais toujours ton avis. Tu me parlais aussi beaucoup de ton enfance, où tu as grandi, de tes amis ( des petits tours que tu les jouais étant enfant ), de ta famille, des gens qui ont eu la chance de te connaitre, des moments noirs de ta vie, de tes misères , des choses atroces que tu as subies, tu ne te lassais jamais de me les raconter et moi je ne me suis jamais lassée de t'écouter. Des fois, quand je n'étais pas d'humeur maussade  en rentrant de la faculté, je te racontais en détails ma journée, les anecdotes de mes camarades de classe, les difficultés rencontrées, les chemins que j'ai dû parcourir à pied soit pour aller à la faculté ou rentrer à la maison. Et quand je rentrais, je trouvais presque toujours à manger ou quelque chose à grignoter. Lorsque en rentrant le soir , j'étais épuisée, fatiguée, tu me lavais de temps à autre mon uniforme pour que je sois toute propre le lendemain.

Je me souviens particulièrement de ces fois où  lorsque la nuit, quand j'avais peur, après avoir regardé des films d'horreur je me réfugiais dans ton lit où je me sentais en sécurité, tu me berçais, me chuchotais des mots doux. De ces fois où quand je réclamais les quelques sous que tu me devais tu me répetais toujours cette phrase : "valè lajan m depanse nan ou kounya w ap vin mande m kòb, pa genyen !"  quelquefois je répliquais, insistais faiblement, malgré cela je rentrais vite dans ma petite coquille parce que je savais que tu disais vrai. Oui, tu disais vrai. Je t'ai beaucoup coûté, je t'ai pris ta jeunesse, ta force, ton temps, tes projets, tes rêves, ton avenir, je t'ai tout pris ma petite maman, je te promets que de là où tu es tu ne regretteras pas de m'avoir portée pendant neuf (9) dans ton sein. 

Maintenant, tu n'es plus là pour regarder ta fille s'épanouir. La mort t'a arrachée à moi plus tôt que je ne le voulais, comme une voleuse elle nous a surprises, j'ai été révoltée de te perdre aussi tôt mais que pouvais-je face à ce monstre ?  Rien ! Il y a des choses qui se produisent indépendamment de notre volonté, je regrette seulement du plus profond de mon coeur de ne pas avoir été toujours là lorsque tu avais besoin de moi. Je sais, j'ai été indigne de l'intarissable, l'incommensurable amour dont tu m'as inondée, j'ai quelques fois été indifférente, égoïste, insensible à ton sujet, tu m'as quittée trop tôt et j'ai compris assez tard ce que tu symbolisais dans ma vie, c'est maintenant que tu n'es plus là que je m'aperçois que tu étais mon "poto mitan", celle qui ne m'a jamais anathématisée, invectivée, sans t'empêcher de me sermonner quand je faisais certaines bavures. J'ai quelques fois pas su estimer les efforts combien louables, les compromis que tu as consentis pour faire de moi ce que je suis aujourd'hui. Je me rends  maintenant compte que j'ai été assez idiote de croire que je trouverai un amour semblable au tien. Je me souviens que j'avais dans le temps d'étranges pensées qui me prenaient la tête, tu me conduisais toujours dans le droit chemin, m'exhortais à ne jamais céder à mes démons, à mes sombres pensées. Tu m'apprenais comment organiser ma vie, m'épaulais, me soutenais. Tu me faisais confiance, pas un jour tu m'as rejetée. Tu avais certes tes défauts, beaucoup de défauts que je ne compte pas énumérer. Des fois tu parlais beaucoup, même trop, pour un rien mais je ne comprenais pas jusqu'à ce jour que tu me voulais seulement du bien. Tu me disais toujours : " fais ceci, fais cela, ne fais pas ceci, ne fais pas cela" Ce qui me mettait toujours en rogne parce que j'aime que les choses se fassent à ma manière, néanmoins je faisais de temps en temps des concessions juste pour te plaire. Je détestais ces fois quand il était 9 heures du matin et que j'étais encore au lit tu m'ordonnais de me lever, troublant mon sommeil, tu disais souvent : " gade ki lè l ye pou w nan kabann toujou, e nan pansyon w ye ? " cela me contrariait énormément, je bougonnais, me fâchais mais je n'avais pas d'autres choix que de me lever contre mon gré, n'empêche que certaines fois je faisais la sourde oreille et me rendormais. Maintenant je donnerais tout pour entendre cette voix familière à mon réveil. Je n'ai jamais un jour souhaité que tu me laisses aussi tôt, mais on l'a voulu ainsi et je ne fais que me courber face à cette force mystérieuse qui nous attire vers la terre, si ça ne tenait qu'à moi nous serions encore tous les deux, toi et moi contre le reste du monde.

Tu te souviens de cette chanson que j'ai toujours aimée maman ? Cette chanson de ce groupe, sexion d'assaut intitulée " avant qu'elle parte" je la chantais à tue-tête, en boucle à la maison, j'aime les paroles, la mélodie, j'aime par dessus tout le refrain. Je réalise, maintenant que j'y pense, que j'ai fait les mêmes erreurs qu'eux. Oui je t'aimais et je t'aime encore mais je regrette de ne pas t'avoir aimée, traitée, appréciée à ta juste valeur, tu étais ma seule vraie amie dans ce monde abject.  Même quand tout le monde me tournait le dos tu étais toujours prête à m'attendre, à m'accueillir, je ne sais combien de fois tes bras m'ont servi de refuge, ton ventre d'oreiller. Maman, pardonne mes excès de colère, mes sautes d'humeur, les fois ou je t'ai désobéi, les fois où je t'ai méprisée, humiliée, bafouée. J'aurais tant aimé revenir en arrière, remonter le temps, effacer certains comportements vils mais hélas ! Ce qui est fait est fait, je ne peux que vivre avec ces sentiments profonds encrés en moi qui ne sont que la honte, le regret et le remords. Pas un jour ne passe sans que je ne me souvienne de toi, il suffit d'un son, d'une voix, d'une image, d'une odeur pour raviver ton souvenir en moi. Ce qui me chagrine le plus, c'est que je n'ai pas eu le temps de te gâter, de te donner la vie luxueuse que tu méritais, que tu rêvais tant. Je déplore vivement cette injustice ignoble commise à mon égard, je me console en sachant qu'un jour, la mort, cette faucheuse sans cœur n'aura plus d'emprise sur nous et qu'un jour bienheureux on se reverra là-haut au paradis.

Je te promets maman que je serai pour tes futurs petits enfants, l'incomparable mère que tu as été pour moi et je sais que de là où tu es, tu veilles sur ta chère enfant qui même après sa mort t'aimera toujours. Comme dit Jean D'Ormesson il y a quelque chose de plus fort que la mort, c'est la présence des absents dans la mémoire des vivants. Tu perduras toujours dans ma mémoire maman, JE T'AIME. 


BERNARD B-Kerlinn