Godson Moulite: L'écrivain a toujours un rôle essentiel dans des moments de crise

Godson Moulite: LCP : Oriol ATOINE

Aujourd'hui Gabynho donne la parole à Godson Moulite. Journaliste Culturel au journal Le National, il vient de publier son premier recueil de poésie titré "Rien qu'une bouffée de l'oubli" aux éditions Varella.

Entretien

Gabynho: Godson Moulite, parlez-nous un peu de votre trajectoire d'écrivain? Comment avez-vous rencontré la littérature?

Godson Moulite: Durant ma jeunesse, j'ai eu la chance de fréquenter des établissements qui accordaient une place importante à la culture et à la littérature. Par exemple, à l'école primaire au collège de Côte Plage, des activités littéraires étaient régulièrement organisées, ce qui m'a permis de cultiver un véritable amour pour la lecture et l'écriture. Ces expériences étaient toujours enrichissantes et stimulantes, nous encourageant à explorer de nouveaux horizons littéraires et à exprimer nos idées de manière créative.

En grandissant, j'ai continué à nourrir ma passion pour la culture en visitant de nombreux centres culturels et bibliothèques à travers le pays. Ces lieux m'ont offert un accès précieux à des ressources variées et m'ont permis de participer à divers projets culturels, enrichissant ainsi mon parcours intellectuel et personnel. À chaque étape de mon apprentissage, j'ai découvert des univers fascinants et rencontré des personnes partageant les mêmes passions, ce qui a considérablement élargi mes horizons."

G: Vous venez de publier "Rien qu'une bouffée de l'oubli" chez les éditions Milot à Paris. Que cache ce titre? Quand est-ce que le livre sera disponible en Haïti?

GM: Rien qu'une bouffée de l'oubli soulève des réflexions profondes sur la nature de l'évasion et du désir humain de se libérer, ne serait-ce qu'un instant, du fardeau des souvenirs et des cicatrices du passé. Cette expression, en apparence simple, renvoie à la quête constante de répit face aux épreuves de la vie, une quête qui, malgré ses apparences de soulagement, demeure fragile, éphémère. L'oubli, cet état où l'on cherche à se défaire de la douleur ou du poids de l'existence, est ici condensé dans l'image fugace d'une bouffée — une aspiration momentanée, une respiration, un instant suspendu avant de se dissiper. L'idée de cette bouffée fait écho à une fuite temporaire. Un espoir plus fragile qu'un souffle, une minute, une pensée pourrait nous délivrer, mais qui, en réalité, ne fait que prolonger l'illusion d'un répit sans parvenir à apporter une véritable guérison.

L'oubli n'est jamais absolu, et la fugacité de cette échappatoire en souligne la nature provisoire. Elle évoque peut-être une forme de résistance face à une réalité trop lourde à affronter ou à une mémoire trop pénible à supporter. La personne qui cherche à s'évader, même pour une fraction de seconde, ressent cette tension entre le besoin de se déconnecter et la conscience aiguë que ce moment de répit n'est qu'un leurre, un mirage. À travers cette image, Rien qu'une bouffée de l'oubli semble nous rappeler que, dans le tumulte de la vie, le seul moyen de survivre est parfois d'accepter cette transitoire et fragile respiration, tout en sachant qu'elle est loin d'être une solution définitive.

Le titre suggère donc une réflexion sur la nature humaine, sur la nécessité de trouver des instants de répit même si ces instants sont dénués de permanence. En Haïti, Rien qu’une bouffée de l’oubli trouve une résonance particulière dans un contexte où les luttes sociales et les souffrances du quotidien, souvent exacerbées par des événements historiques et politiques marquants, rendent encore plus poignante la quête d'une échappatoire, aussi éphémère soit-elle. Mais même dans cette fragilité, il existe un message d'espoir, une invitation à chercher la paix intérieure, même dans les moments les plus fugaces et les plus incertains.

Il sera disponible en Haïti à la fin du mois de février 2025.

G: Un fragment du texte...

GM: Et j’ai beau essayer de marmonner quelque chose d’audible de digne de sauce Guignol
Avec mon nez inadapté au maniement de la langue chinoise
Les cris gluants et la marmelade vocale de pan
Qui s’écoulent de mes organes buccaux, lassé de frite, et me voici clignotant, dignement effacé et dans l’immédiat pris par ma mère comme une nouvelle provocation, toute sorte de mouche que je reçois un nouveau coup de cisaille de cuillère
Et que moi-même
Dans ma nervosité de Moine
Tranche mes yeux en érection, silhouette du jour où lesquels tombent à côté du ficus et me regardent m’enfuir, rien de m’enfuir
Tandis que je rampe à toute vitesse pour échapper à ma blessure, ce rocher, monstre
Mais la blessure me suit, partout en haut de ma douleur Salopant derrière moi la moquette avec mes organes libérés, de sperme chaud dans mes songes
Tandis que je suce littéralement sur ma propre bave. Lavé ma bouche avec du sang pur de la pomme
Cette sécrétion colloïdale complexe à haute viscosité, épluchant auréolé
Ma puce la considère comme une autre provocation, mes désirs de dire adieu à la montagne qui m’enterre
Pire qu’une provocation, pour elle, c’est l’écriture du dimanche oui de vrai duo sous la douche
Alors que si on prend un peu de recul dans ce minuscule farouche opposant la main,
Et qu’on regarde les traces que je viens de laisser sur le canapévert dans cette attente montagneuse
Les lettres que j’ai formées avec mon corps en bavant sur ma chair sont ridicules, une toute petite beauté, partie en fumée

Godson Moulite: L

G: Ce qui se passe en Haïti actuellement est infernal. Massacres. Territoires perdus. Des milliers de personnes déplacées. L'écrivain que vous êtes a-t-il un rôle à jouer pour redresser la barque?

GM: L’écrivain a toujours un rôle essentiel dans des moments de crise. Par les mots, il peut éduquer, sensibiliser, éveiller les consciences et, parfois, offrir des pistes de rédemption. En Haïti, la situation est tragique, et il est de notre devoir de documenter, de témoigner et de réfléchir à des solutions. L’écrivain ne se contente pas d’observer, il engage aussi une réflexion sur le futur. Rédiger et publier des récits qui reflètent la réalité haïtienne, ses drames mais aussi ses résistances, peut contribuer à une prise de conscience collective et à une action concrète.

G: Ces jours-ci de plus de plus de jeunes, de moins jeunes également, publient leurs premières oeuvres. Ils sont nombreux à rafler des prix littéraires. Comment expliquez-vous cela. Y-a t-il urgence d'écrire?

GM: L’émergence de nouvelles voix littéraires est un phénomène fascinant. Il peut y avoir une urgence de s’exprimer dans le monde d’aujourd’hui, un monde en proie à des crises sociales, politiques et environnementales. Les jeunes, en particulier, veulent être entendus, partager leurs histoires, leurs luttes et leurs rêves. Les prix littéraires ne sont pas seulement des reconnaissances de talent, mais aussi des moyens de mettre en lumière des réalités souvent invisibles. L’urgence d’écrire vient peut-être d’une volonté de témoigner et d’interroger le monde.

Godson Moulite: L

G: Deux, trois, quatres livres de votre bibliothèque avec lesquels vous voyageriez sur une île déserte...

GM: Je choisirais des livres qui m’inspirent et me donnent une perspective nouvelle sur la vie. Par exemple, ‘L’Alchimiste’ de Paulo Coelho qui m’invite à chercher ma légende personnelle; Parabole du faillir de Lyonel Trouillot, pour sa profondeur philosophique et son exploration de l’âme humaine; et peut-être un recueil de poèmes de Davertige titré IDEM, pour. sa beauté et la richesse de la langue.

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Blondy Wolf Leblanc (Gabynho) 109

Mémorand en psychologie à la Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti (FASCH-UEH), Gabynho est un acteur culturel très influent à Carrefour où il initie et coordonne "Festival Liv Kafou", "Semèn Jèn Ekriven Kafou" et "Week-end Poétique".

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