Chronique d’une déchéance annoncée

Chronique d’une déchéance annoncée

Les récents événements autour de l’opération avortée de la Police Nationale d’Haïti le 12 mars courant au village de Dieu, un quartier situé au sud de la capitale, ne cessent de provoquer des remous au sein de la société. Les citoyens sont alarmés, beaucoup plus par l’apathie des autorités, que par la débâcle en soi. 

En effet, dans la soirée du 16 mars, la population a été informée d’une opération spéciale ayant conduit à la reprise d’un blindé. La nouvelle soigneusement distillée et présentée comme une victoire de la PNH, omettait sciemment de  parler du sort des cadavres des policiers livrés en pâture aux bandits quelques jours plus tôt. En ces circonstances horribles qui avaient révolté l’opinion publique, la reprise des corps semblait plus importante pour la société que les blindés. Dans un pays où la vie prime, ce devrait être, avant tout, la priorité des dirigeants. Mais, ici rien ne se passe comme ailleurs. L’important devient un concept galvaudé. Les dirigeants, incompétents et insouciants, depuis longtemps, ont perdu tout sens de la réalité. Le monde peut bien s’écrouler autour d’eux, ils continueront de dormir sur leurs deux oreilles. Les chefs avancent allègrement dans la nuit, définissant ou redéfinissant, pour eux-mêmes et leurs proches, leurs priorités, sans se soucier aucunement des torts causés à la société. 

Alors que l’opération « blindé récupéré », dans la soirée du 16 mars, touchait à sa fin, une rumeur persistante venait enflammer les réseaux sociaux. Un haut cadre de la Police était placé en isolement par l’inspection générale pour son implication présumée dans ce qu’il convient d’appeler le massacre du 12 mars. Un homme pouvait-il à lui tout seul faire échouer une mission d’une telle importance? Quelle est donc la part de responsabilité à la fois de la Direction générale de la Police et du Conseil Supérieur de Police Nationale dans cette déroute?

Beaucoup d’eau coulera sous les ponts avant de connaître la vérité. Néanmoins, les policiers sont bien morts, leurs proches sous le choc. Quant au Peuple Haïtien, son interminable calvaire se poursuit. 

L’institution policière, piteusement, étale, au grand jour, ses fractures, ses faiblesses structurelles rédhibitoires et surtout les luttes intestines incessantes, initiées, fomentées par certains secteurs en vue d’en assurer le contrôle. Dans un pays « normal » la primauté des institutions sur les individualités, leur pérennité, constituent le ferment de l’adhésion des citoyens au pouvoir, à l’État. Les hommes passent, les institutions et l’État demeurent.  Or, la mise en isolement et les déclarations sur les ondes d’une station de radio de la capitale, du policier en question, la décision de certaines familles de policiers tués et sacrifiés le 12 mars, de poursuivre les autorités, montrent que rien ne va plus dans ce pays. La barque n’a plus de timonier. Elle coule corps et biens. 

Pire, lorsque des policiers manifestent au sein même de l’Académie de la Police, affichant leur mécontentement ostensiblement contre un haut responsable, menaçant d’attenter à sa vie pour son implication présumée dans la débâcle du 12 mars, le délitement de la Police, l’unique force armée reconnue par la loi, annonce au pays tout entier que les jours à venir sont plus que sombres. Que dire du vent de panique qui souffle sur la ville depuis ce matin ? Les policiers en uniformes foulent brutalement le béton. 

Et dire, qu’il n’y a pas si longtemps, monsieur Jovenel Moïse affirmait avoir démantelé soixante-quatre gangs. Ils sont comme les champignons, semblent-ils ! Le locataire du Palais National ajoute à son curriculum, déjà bien chargé, le diplôme d’arracheur de dents. Un de plus.

Entretemps, d’aucuns soutiennent que les corps des policiers ont été  calcinés en guise d’enterrement. Toute possibilité de recueillement pour les proches et les frères d’armes des malheureuses victimes, s’envole en fumée. La Nation perd une partie de son corps. L’amateurisme et l’incompétence au plus haut sommet de l’Etat s’érigent en normes. 

De toutes façons, les écoles réussiront, peut-être, à boucler l’année scolaire. C’est la nouvelle échéance pour beaucoup. Le pays, après, connaîtra, à coup sûr, un nouvel exode massif. Ceux qui s’obstinent à remuer ciel et terre pour se maintenir au pouvoir, persisteront dans leurs actions. Ceux qui attendent les élections pour un retour triomphal, resteront motivés en attendant ces joutes dont tout le monde semble connaitre déjà l’issue. Les exécuteurs de basses œuvres  s’activeront jusqu’à ce l’ordre de tout arrêter leur soit intimé. Dans ce monde incertain, une certitude demeure: la déchéance de la société haïtienne se poursuit inexorablement. 

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Franck S. Vanéus 44

Avocat et Philosophe...

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1 Commentaires

  • G. Woel .

    March 18, 2021 - 01:47:09 AM

    Excellent article !!! Superbe analyse de la situation . Compliments!!! Maître Vanéus .????????????????????????