Le chawapétisme, mode de vie des amants du rabòday

Le chawapétisme, mode de vie des amants du rabòday

Invité à une soirée d’anniversaire chez un ami, l’autre jour, malgré moi, je me suis retrouvé au milieu d’un échange fructueux entre des jeunes gens autour des concepts «  chawapete et rabòday ». Les uns étaient admiratifs tandis que les autres les abhorraient.

Sans avoir la prétention d’être un fin connaisseur, ni l’envie de prendre position pour l’un ou l’autre des deux groupes, je me suis demandé ce que représente pour la jeunesse haïtienne le « chawapete et le rabòday. ».

Tout d’abord, le rabòday me paraît une forme d’expression d’une musique populaire, mélangeant plusieurs rythmes du terroir, du raggaeton et du ragga. Elle semblait, à l’origine, très prisée chez les jeunes de certains milieux et surtout d’un certain âge. Cette musique entraînante, festive leur permet de s’exprimer sur leur quotidien de manière libre. Je veux dire sans aucune contrainte. De «  Tout moun se Tenten à Banm bil en passant par Pwent pye, Ti Manoune, Alo, Kote Plezi ya ye ...», les tubes de rabòday sont sur toutes les lèvres. Aujourd’hui le rabòday pénètre un peu partout. Dans les milieux huppés, les jeunes gens imposent cette musique à leurs parents. Elle est jouée en toutes circonstances. Un anniversaire ou une première communion sans un tube de rabòday est une fête dont personne ne se souviendra deux jours plus tard.

Les jeunes se disent que la durée de vie en Haïti étant de vingt-quatre heures renouvelables, il faut la vivre pleinement. C’est ainsi que le rabòday a eu pour corollaire le chawapete.

C’est une manière de vivre pour les jeunes des milieux défavorisés, invisibles et inaudibles, privés de tout, avec les maigres moyens dont ils disposent. Dans les ghettos les gens vivotent. Le billet de mille gourdes se fait très rare. Pour s’amuser en conservant un semblant de dignité, les jeunes en consommant le rabòday, s’évertuent à manger et boire ce qu’ils peuvent se payer.

Cette manière de vivre de peu, dans une forme de sobriété à la fois improvisée et imposée, s’est transformée pour devenir une mode envahissante. Aujourd’hui elle se manifeste partout et ce, dans toutes les activités festives regroupant les jeunes. Chaque événement de la vie de tous les jours peut déboucher sur une activité de chawapete. Là où il y a quelques jeunes désargentés, un haut-parleur et du clairin trempé, le chawapete n’est jamais loin.

À mon sens, loin de toute forme de stigmatisation, le rabòday et le chawapete constituent des exutoires pour des jeunes parias, privés de tout, oubliés par un état truffé d’incapables et de voleurs, des parents, parfois irresponsables et insensés, souvent aussi balayés, ballotés et terrassés par la réalité d’une vie cruelle et des élites indignes. Les jeunes attendent de pouvoir s’épanouir dans un environnement sain. Ils s’érigent, le ventre vide, en casseurs pour se faire entendre et obtenir le pain de l’instruction. Cela dit tout.

Le rabòday peut être une musique commerciale à portée internationale. Cela peut donc être une grande possibilité d’ouverture. Dans les grands mégapoles en occident, au plus fort de l’hiver, les corps peuvent s’en approprier avec ferveur. Car, sa propension à s’adapter à tous les corps, mêmes ceux dansant à contre temps ou incapables de suivre le rythme, s’en sortiront à merveille. Cette musique se danse aisément. Elle a la vertu doter chaque mouvement du corps d’une forme certaine d’esthéticité. Le danseur lambda devient un formidable danseur avec le rabòday. Il faut la structurer. Quant au chawapete, en tant qu’épiphénomène, son avenir est tronqué. A l’instar de toute mode, elle ne fera pas long feu. D’autres manières d’être ne tarderont pas à la déloger. Au delà de ces considérations, une question persiste, les amants du rabòday doivent-ils forcément adopter le chawapétisme comme mode de vie en attendant de pouvoir la dépasser?


Franck S. VANÉUS, av .
19-09-2020

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La Rédaction 236

Kafounews

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