J’ai abordé dans un article récemment la question du chawapétisme, manière d’être ou expression du mal-être de la majorité des jeunes haïtiens croupissant dans une misère innommable dans les ghettos, tentant de noyer leur chagrin par tous les moyens. D’aucuns se sont avisés à me jeter la pierre sans analyser en profondeur les origines réelles de ce comportement devenu fait social. Et, pour citer Emile Durkheim, les faits sociaux sont choses. D’un point de vue spinoziste, la chose est un être à part entière vivant dans la Nature. Cela suppose que les êtres humains sont, pour l’amsterdallois, des choses. Aujourd’hui, je me propose de remonter aux sources du chawapétisme. Pour y parvenir, je voudrais pénétrer dans l’espace politique haïtien de l’après Duvalier (bien entendu il est possible de convoquer le passé sur une période plus lointaine).
En 1986, au lendemain du départ de Baby doc, le conseil national du gouvernement (CNG) a été formé par le dictateur déchu pour assurer la transition démocratique. Le Général Henry Namphy a été le premier responsable politique à initier le concept de Banbòch demokratik. Comment une institution issue de la dictature pouvait faciliter le passage à la démocratie? Comment un militaire dont la fonction est d’obéir avant tout, peut-il promouvoir la démocratie? Ces interrogations confirment, à n’en pas douter, le paradoxe Ayisyen.
En tout cas, le général Namphy mobilisa le concept susmentionné pour faire état d’une société où la démocratie florissait. Les institutions mises en place s’attelèrent à leur mission en servant les intérêts de tous. Le processus de la démocratie « Banbòch demokratik » militaire après le putsch du général Prosper Avril, chemina allègrement jusqu’à déboucher sur le drame des prisonniers de la Toussaint. Evans Paul, Etienne Marino et Jean Auguste Mesyeux ont été arrêtés, roués de coups et présentés à la population dans un état déplorable pour dissuader toute tentative de manifestation populaire contre le régime en place. Lorsque les forces de l’ordre défendent un pouvoir corrompu et menteur, elles auront toujours les mains sales.
La démocratie militaire continuait de porter ses fruits. Les discours politiques ne reflétèrent pas toujours la réalité. Les enrôlés étaient devenus, sous le règne de Prosper Avril, le général président, une force incontournable pouvant mettre aux arrêts des hauts gradés des Forces Armées avec la passivité tactique du Haut-état major. Pire, certains militaires menèrent de front une carrière de militaire et une autre de zenglendou. La seconde rapportait mille fois plus. La passivité se mua en complicité. Ces mauvais éléments prirent d’assaut un matin le bord de mer, au Bicentenaire, un espace boisé où des stations de radio de la capitale avaient décidé de placer des antennes, pour procéder à un lotissement. Malgré les complaintes, récriminations, manifestations et autres recommandations, le mal était déjà fait. La distribution des terres au sein des Forces Armées avaient eu lieu en marge des normes. Le Banbòch demokratik débouchait sur le chawapétisme politique.
Les gouvernements successifs n’ont pas tenté de renverser la donne. Le populisme supplanta le projet de transition démocratique. L’élection au suffrage universel direct a entériné, une bonne fois, les exutoires dans le champ politique que sont les deux concepts sus-cités. En effet, le peuple s’érigeant, pour un temps, en faiseur de rois, les élus lui accordaient la licence d’agir comme bon lui semble.
La constitution de 1987 et les institutions dites démocratiques ne représentaient pas grand- chose aux yeux des acteurs politiques. D’ailleurs, la constitution est un chiffon de papier. Les grandes théories dorment tranquillement dans les manuels: la constitution ne donne pas de conseils qu’on est libre de suivre ou de ne pas suivre. Elle pose des règles, proclame des principes qui s’imposent absolument aux pouvoirs publics.
Les pouvoirs publics en Ayiti accordent à la populace la licence de lebruniser des édifices publics pour faire accepter l’élection d’un président ou le maintenir au pouvoir (suivez mon regard).
Le temps du peuple faiseur de rois a été supplanté par celui des « billets de mille gourdes » en échange du droit de vote. Des hommes et femmes politiques de mauvaise foi et incompétents ont été mis à l’écart au profit des cancres. La cancrocratie se propose de transformer en profondeur la société au mieux de leurs compétences.
La putréfaction des institutions a conduit à la déliquescence des mœurs. Le chawapétisme ambiant est le fruit du Banbòch demokratik et du chapétisme politique. Les jeunes d’aujourd’hui ont suivi la voie tracée par leurs illustres devanciers. La politique a toujours été et demeurera, pendant longtemps encore, un pouvoir d’impulsion. Pour en finir avec les vieilles méthodes sanguinaires et dictatoriales, il faut un coumbite de tous les hommes et les femmes de bonne volonté dans ce pays. Il n y a que la combinaison des forces de tous qui puisse garantir la liberté.
Le chawapétisme et le Banbòch demokratik prônent la dispersion, le désengagement citoyen, la peur et le refus du vivre-ensemble. Leurs impacts sur le plan sociétal sont de plus en plus néfastes. La prolifération des armes à feu, la gangsterisation des institutions étatiques et surtout le refus de placer l’intérêt général au dessus de ceux des particuliers conduisent le pays au bord de l’implosion. Jusques à quand les prétendues autorités constituées continueront la politique du faire semblant?
Franck S. Vanéus, av.
Banbòch demokratik et chawapétisme politique
La Rédaction 241
Kafounews
2 Commentaires
My name
January 02, 2021 - 10:39:53 PMWow. Félicitations pour ce beau texte. Je panse que le chawapétisme politique, pour reprendre ton expression, est l'un des plus grands malheurs qui soient arrivés à notre société depuis la chute des Duvalier. Maintenant nous devons penser comment mettre fin à la politique du chawapetisme, récupérer la jeunesse et l'engager dans la lutte pour le changement.
Shella
January 03, 2021 - 12:14:55 PMLa réalité est bien décrite dans ce texte, Me Vaneus. Malheureusement , le réveil du patriotisme est loin chez plus d’un.