Sous un soleil de plomb, aux prises avec la chaleur suffocante, je progresse dans l’allée menant à l’Institution Mixte de Pouchinit. Le directeur, Garnel H Innocent, me reçoit dans un bureau singulier. « Là, me dit-il, on sera plus tranquille pour l’interview. » Je suppose que c’est une façon de me dire que c’est l’endroit où il y a le moins de bruit. Le chahut des élèves me parviennent. Un chœur d’enfants tout excités dont l’entrain et la sonorité indiquent leur pleine implication.
M. Garnel Innocent prend place face à moi. Il a un visage accueillant, dégage une prestance assurée où je dénote une charmante intelligence. Il s’exprime avec une telle aisance que cela m’a fait oublier rapidement que l’on se rencontre pour la première fois. J’étais là pour connaitre l’histoire de son école. Et pour cause j’allais être servi car, outre l’histoire de l’institution, j’ai découvert un système éducatif conçu pour répondre aux exigences de notre époque et destiné à relever des défis majeurs dans notre communauté.
L’Institution Mixte de Pouchinit, une école d’excellence et d’exception
L’entretien débute et j’apprends aussitôt que l’école est fondée il y a près de quatorze ans, à la fin de l’année 2010. Je remonte le temps et me rappelle qu’à ce moment-là Haïti vivait assurément l’une des périodes les plus marquantes de son histoire. En effet, quelques mois plus tôt, le 12 janvier 2010, un terrible séisme émouvait les entrailles du pays, plongeant ses fils et filles dans un total désarroi. Cet événement marque une période incontournable dans l’histoire du pays. Il scinde la perception du temps en deux périodes distinctes aux yeux de nombreux haïtiens : avant, malgré les difficultés, le pays tramait et s’essayait à la survie ; mais après, c’était le moment de renouer avec l’envie de vivre, de comprendre la nécessité de survivre, allant ainsi jusqu’à croire – en dépit du chaos qui étendait son décor à perte de vue – qu’il faille un plan pour l’avenir. Dans un tel contexte, les acteurs opérant pour le "retour à la vie" étaient nombreux. Un décor post apocalyptique dans lequel les enfants n’étaient pas réellement conscients des enjeux de la situation. Il fallait penser à l’avenir pourtant, et on ne saurait l’envisager sans penser d’abord, et surtout, aux enfants. Ils sont le centre même de tout projet d’avenir ! Après le séisme les écoles sont restées logiquement fermées durant des mois. Certaines familles avaient tout perdu, d’autres pansaient leurs blessures, et la plupart s’efforçaient à croire que le retour à la vie normale était possible. Mais les véritables questions autour des causes qui avaient occasionnées des conséquences aussi terribles demeuraient dans le flou. Et si le peuple haïtien n’était finalement toujours pas préparé à entrevoir la vie au travers des lunettes de la responsabilité citoyenne ?
Dans tout contexte de chaos, il demeure un groupe qui ne se laisse point submerger par les vagues. Ceux-là comprennent la nécessité de rester à flot pour contribuer à l’effort de résilience. Neuf mois après le séisme, l’Institution Mixte Pouchinit a vu le jour.
"L’école Pouchinit est fondée en 2010, après le tremblement, raconte M. Innocent. Moi et ma femme avions le projet deux ou trois ans à l’avance. Ma femme a étudié les Sciences de l’éducation à l’Université Quisqueya. On s’était dit qu’on ne voulait pas fonder une école à l’image du pays."
Pour réussir ce pari d’aller à contre-courant et réussir dans un système dont les échecs sont pléthore, lui et sa femme avaient misé sur le choix d’une identité. Au sein de son établissement, il assure vouloir former des citoyens dignes de représenter le pays. Telle est la philosophie de l’Institution Mixte de Pouchinit. Il enjoint à cela les bases fondamentales inaliénables à tout être humain digne de ce nom. Croyant fermement qu’un tel projet nécessite du temps et une bonne conscience des enjeux, il s’est lancé avec une stratégie originale. Dès la première année, l’école ne compte qu’une seule classe. Tel un arbre, la croissance se faisait progressivement, sans enfreindre les règles du temps, sans piétiner la vertu de la patience. Cela leur a permis d’inculquer cette identité désormais intrinsèque à l’institution.
"On l’a fait ainsi pour plusieurs raisons, explique M. Innocent. On ne voulait pas admettre dans l’institution des enfants à l’aveugle afin de pouvoir maintenir une identité claire. On priorise beaucoup la culture. Nous avons ici une chorale, un orchestre, des cours de danse et d’enseignement artistique. Nous sommes la première école de la commune d’ailleurs à dispenser des cours d’enseignement artistique. Nous avons également des cours de robotique et de technologie afin de contribuer au progrès de l’enfant."
Toujours dans cette perspective de faire la différence malgré les difficultés et d’assurer à ses élèves les bagages essentiels à leur épanouissement pluridimensionnel, il met à leur disposition un cours de dessin. Alors que certains établissements éliminent carrément certains cours, faute de budget, M. Innocent continue de rendre accessibles des moyens d’apprentissage innovants. L’école dispose ainsi d’une salle de laboratoire de Physique réelle et virtuelle et d’une salle d’expériences de Mathématiques réelle et virtuelle. Une foire éducative annuelle permet aux enfants d’apprendre à concevoir et présenter leur projet. Stimuler la créativité de l’élève et faciliter sa compréhension des différents concepts qu’il découvre tout au long de son processus d’apprentissage est donc au centre de ce projet. Une approche dynamique dont la finalité est de permettre à l’élève de comprendre le mécanisme des choses, par conséquent développer son esprit d’analyse et critique.
Si l’école est encore en construction après toutes ces années, il est intéressant de constater que la philosophie s’est ancrée dans son évolution, devenant ainsi une marque pérenne. L’Institution Mixte Pouchinit se distingue des autres établissements notamment parce que le directeur a réussi son alliage d’innovation et de conviction. Il ajuste ses méthodes selon des défis réels, se révèle pragmatique en s’adaptant aux fluctuations des événements pour trouver la meilleure issue possible, mais refuse de niveler vers le bas pour faire de la médiocrité une échappatoire de circonstance. Une force de caractère qui reflète l’essor de son institution et dont il imprègne ses élèves.
"A l’école nous enseignons aux élèves le respect, la dignité et la recherche de la connaissance. Nous leur apprenons qu’il y a toujours plus à savoir et qu’ils doivent se former continuellement."
Contrairement aux croyances communes, M. Innocent est convaincu que l’apprentissage se fait aussi à travers les jeux. Il aime bien laisser à l’enfant la liberté de s’adonner à ce qu’il aime ou de solliciter ses capacités cognitives grâce à certains jeux de réflexions comme les jeux de cartes, de dominos ou le morpion. Il a établi des heures de jeu durant lesquelles l’établissement pourrait ressembler à une vaste aire de récréation. Avec de tels moyens, les résultats sont très encourageants et les parents se rendent compte du profond lien d’attachement qui s’est développé entre leurs enfants et l’institution. Ils refusent d’être admis ailleurs et certains pleurent parfois quand leurs parents viennent les chercher. La qualité du projet d’école est donc devenue une évidence pour ces parents qui ne peuvent que constater à quel point leurs progénitures s’épanouissent dans l’atmosphère inclusive et conviviale de l’école.
"L’école est une mixité sociale, assure fermement M. Innocent. Nous avons affaire à tout type de personnes. La plupart des employés de l’établissement ont leurs enfants scolarisés ici, tout comme moi. Ma fille est à l’école aussi. Ici nous avons affaire à différentes catégories de personnes, avec différents niveau financier."
Fait intéressant à souligner donc ! Il est courant, et c’est presque devenu la norme en Haïti, de voir certains directeurs d’école scolariser leurs enfants ailleurs. Cela soulève pas mal d’interrogations sur la qualité et la crédibilité de leurs projets d’école. En effet, quiconque se méfierait d’un chef de cuisine qui préfère absolument diner ailleurs que dans son propre restaurant. A Pouchinit, autre son de cloche. Ce projet, pensé dès le départ pour être différent, innovant, se démarque et démontre véritablement cette différence à travers ses méthodes et ses approches. C’est une école qui respecte réellement le principe de la diversité et s’applique à favoriser l’inclusion.
"Nous sommes une école laïque, souligne M. Innocent. Nous enseignons la Bible comme nous enseignons l’histoire. Peu importe les croyances des autres, leurs religions, on ne prend pas en compte ces choses-là. D’ailleurs nous ne nous préoccupons pas de la coiffure des élèves. Cela n’a rien à voir avec le développement de l’enfant. Ce que deviendra l’enfant, son rapport à la société ne dépend que de la formation dont il bénéficie, et c’est cela qui nous intéresse."
Quand on connait les failles et les faiblesses du système éducatif haïtien, il serait normal de douter qu’un tel projet puisse réellement réussir, encore moins dans le contexte actuel. Mais M. Innocent, visionnaire adroit, sait anticiper et mettre en place les bons moyens pour parvenir aux résultats escomptés. Il s’assure que le corps des enseignants soit constitué uniquement de professionnels issus de l’Ecole Normale Supérieure ou forts d’une solide expérience dans l’enseignement. De surcroit, ces enseignants doivent prendre part à certaines formations spécifiques leur permettant de se familiariser avec certains outils pédagogiques cruciaux dans l’enseignement des enfants.
M. Innocent est un habitué du système éducatif. Il cumule une longue expérience dans le milieu et continue d’enseigner tout en étant directeur de son établissement. Il attribue tout le mérite de la fondation de l’école à sa femme, Marie Josephe Lebrun qui, dit-il, lui a insufflé l’idée. A l’époque, il était professeur de Mathématiques, avait étudié la physique à l’Ecole Normale Supérieure, l’électronique au Centre de Formation Professionnelle d’Haïti, puis l’électromécanique par le biais d’une étude détachée au Canada, mais n’avait jamais songé à fonder une école. Heureusement, il n’a pas été réfractaire au projet de sa femme et s’est investi durant des années pour le concrétiser. Plus d’une décennie plus tard, ils font tourner ce projet qui représente une bouffée d’oxygène pour un système éducatif haïtien ébréché, à la limite asphyxiant et horripilant. Un tandem extraordinaire qui rêve de pousser l’aventure encore plus loin.
"En fait je souhaite avoir une école inclusive, conclut M. Innocent, les yeux brillants. Notamment pour les élèves en situation de handicap, j’aimerais bien que ceux-là puissent s’intégrer et se sentir parfaitement confortables parmi tous les autres élèves. De même, du côté des professeurs, je voudrais bien qu’ils soient formés pour s’adapter et connaitre comment s’y prendre avec les élèves."
Au vu des derniers résultats, il y a fort à parier que M. Innocent saura atteindre cet objectif. On n’a qu’à croiser les doigts et souhaiter que plus d’écoles comme la sienne s’engagent dans cette même voie !
L’Institution Mixte de Pouchinit a deux adresses : La section Kindergarten et Garderie Educative se situe au numéro 34, Mahotière 79, à Carrefour ; la section fondamentale et secondaire au 134, impasse Décatus, Mahotière 77, à Carrefour. On peut les contacter via les numéros suivants pour la Section Kindergarten et Garderie Educative : 3614 - 9548 / 3760 - 0319 / 2228 – 0468 ; et via ces numéros pour la section fondamentale et secondaire : 3614 - 9548 / 3760 - 0319 / 2228 – 0468. Ou encore, vous pouvez simplement visiter leur site internet : www.pouchinit.net.
Jean Rony Charles 10
Jean Rony Charles est passionné de lecture et d'écriture. Il est l'auteur de "Pitié", une nouvelle parue chez les Editions Repérages.
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