La vie continue

La vie continue

 
La semaine dernière, un ami de longue date me fit part de ses péripéties pour se rendre au centre-ville. Il a dû, très tôt, sauter dans un bus, assurant, avant le déluge, le transport scolaire, dont la vieille carcasse tenait encore la route grâce au mépris des autorités haïtiennes pour la vie de leurs administrés. Après avoir attendu plus d’une demi-heure que les gens se soient entassés tels des sardines, le conducteur laissa la jonction de la route des Rails et du Boulevard Jean Jacques Dessalines, à côté de la Base Navale Amiral Killick, et prit la route en direction de Port-au-Prince.
 
Cette station improvisée accueillait, dans un désordre bordélique, les autobus desservant le grand Sud. Dans une rivière au beau milieu de la chaussée, assiégée par des montagnes de détritus, survolés par des nuage de mouches, les étalagistes et autres marchands ambulants louaient à tue-tête les bienfaits de certains comprimés miracle ; dans le même temps, les managers des tap-tap s’égosillent pour attirer les passagers hésitants. Quant aux marchandes de fruits et légumes, elles se créaient de petits îlots de propreté, déposant à même le sol, sur un vieux sac en plastique, leurs produits frais.
 
C’est dans cet environnement ubuesque, exécrable, inacceptable pour tout homme digne de ce nom, que mon ami s’accommodait, deux fois par semaine, aux fins de se rendre à son bureau, une organisation non-gouvernementale. Plusieurs autobus laissaient la station en même temps ; et formaient un cortège. Premier arrêt : Fontamara 43, pour l’acquittement d’un droit de passage aux jeunes bandits patrouillant dans cette zone. Quelques centaines de mètres plus loin, à Fontamara 29, deuxième arrêt : opération identique. Le cortège traversa Fontamara 27, là où s’érigeait le Château Royal, un night-club très prisé autrefois. La route Nationale numéro 2, entre Fontamara 27 et Martissant 7, était devenue un véritable champ de ruines. Des excavations ravinaient la chaussée par endroits. Des montagnes de déchets, d’alluvions bloquaient une voie entière. Les usagers de la route, si irrespectueux des règles de la circulation, faisaient bizarrement preuve d’une courtoisie sans pareille, cédant le passage volontairement. Des pâtés de maison en entier étaient abandonnés. Chacune de ces dernières, malgré les apparences, cachait les yeux de sbires armés, vigilants à l’excès pour protéger leur territoire.
 
À Martissant 7, le convoi s’arrêta une dernière fois. Des hommes en armes, encagoulés, montent à bord de l’autobus. Jetant un coup d’œil laconique sur les passagers, ils récupérèrent le droit de passage, autorisant le conducteur à poursuivre son chemin. Le Sous-Commissariat de Martissant, abritant lui aussi des hommes armés, témoigne, soit de l’impuissance du régime en place à asseoir l’autorité de l’État, soit de sa complicité avec les bandes armées.
 
Finalement, mon ami descendit, comme tous les passagers, au Portail Léogâne ou un chauffeur, dans un véhicule tout terrain l’attendait pour le conduire à son bureau dans les hauteurs de Pacot. Dans une insouciance ineffable, il s’attela à liquider les dossiers importants avant de regagner, par la même voie, sa maison vers deux heures de l’après-midi. Il s’exposait quotidiennement au danger afin de pourvoir aux besoins de ses enfants, dépaysés depuis de longues années. Malgré les apparences, la vie continue…
 
Les gens s’accrochent à chaque bout de rêve en espérant de tous leurs vœux des lendemains meilleurs.
 
 

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Franck S. Vanéus 43

Avocat et Philosophe...

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