Le déplacement forcé, un fardeau trop lourd à porter pour les étudiants haïtiens

Le déplacement forcé, un fardeau trop lourd à porter pour les étudiants haïtiens

Des étudiant.e.s habitant à Mariani (Haïti) et des zones avoisinantes en situation de déplacement forcé à cause des terreurs du gang dirigé par le nommé "Bout ba" témoignent.

Le premier novembre 2023, en pleine fête des morts, les habitants de Mariani et des zones avoisonantes ont vécu une journée d'enfer. Le début d'une apocalypse qui s’éternise avec un cortège de milliers de déplacés forcés et des dizaines de morts dont des policiers. Le bilan est lourd. Parmi ces gens contraints de laisser leur quartier, figurent des étudiants.

Cette situation est infernale

"Cette situation est infernale", s'exclame Mike, étudiant en Communication Sociale à la Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti (FASCH-UEH). Très engagé dans sa communauté, il coordonne une organisation qui fait la promotion de la culture à Tisource. Mike vit très mal la situation. Éloigné de sa famille, il se sent perdu.

Cette tragédie a brisé ma famille

"C'est la mer à boire. Cette tragédie a brisé ma famille. Il y a des membres que je n'ai plus revus depuis. Je vis ça très mal", se plaint-il.

Les déplacés internes sont non seulement forcés de fuir leur maison mais également leur quartier, espace avec lequel ils développent souvent un attachement viscéral. Mike vit à Tisource depuis 2011. Contraint de fuir est pour lui synonyme de déracinement.

"Finies les discusisions interminables entre amis. Finies les activités littéraires. Finies les rencontres de jeunesse à l'église. Je suis dépaysé. Je me sens déraciné", pleure-t-il.

Je suis restée sans nouvelle de la plupart de mes amis

Maria, étutiante en troisième année à la Faculté des Sciences Infirmières de Port-au-Prince (FSIP) regrette de ne plus pouvoir continuer à servir sa communauté, Mariani 2, zone pour laquelle elle éprouve beaucoup d'amour. Elle traduit son déplacement forcé comme une rupture brutale.

"Je ne m'attendais pas à être contrainte de vider les lieux. Je suis restée sans nouvelle de la plupart de mes amis. Ces bandits sont des briseurs de liens", se lamente-elle.

Étudiante en Psychologie à la Faculté d'Etnologie, Claire habite entre Mariani 1 et 2 depuis trois ans. Tout comme Maria, ellle vit la situation comme un gigantesque cataclysme interne. «C'est une séparation brutale. Je suis obligée d'accepter l'inacceptable", nous dit-elle, une pointe de tristesse dans la voix.

Claire ne digère pas la rupture. Elle aime son quatier et lui témoigne beaucoup de gratitude. Elle poursuit en précisant: "Je dois tout ce que je suis devenue au quartier. Il m'a façonnée et a fait de moi une leadeuse".

James regrette également d'être obligé de quitter son quartier. Depuis 7 ans, il vit avec sa mère, sa soeur et une cousine à Mariani 3. Il fait partie d'un groupe qui initie plusieurs projets socioculturels dans la zone dont une bibliothèque. Il a beaucoup erré avant de trouver une maison stable où habiter.

"En nous chassant de manière aussi véhémente, les gangs me font vivre une vie de nomade. Tantôt je dors à la Faculté des Sciences Humaines ou à la Faculté de Medecine. Tantôt je dors chez un membre de la famille à Carrefour".

La situation de déplacement forcé ne reste pas sans conséquence sur le rendement académique des étudiants victimes. Confrontés à des difficultés de concentration et d'attention, ils n'arrivent pas à réviser leurs cours et remettre leurs devoirs dans les temps impartis.

Réviser est au desssus de mes forces

"J’arrive à peine à me concentrer pour parcourir deux pages, réviser est au dessus de mes forces", nous dit James, étudiant à l'Institut National d'Administration, de Gestion et des Hautes Études Internationales (INAGHEI) et à l'École Normale Supérieure (ENS).

Mike abonde dans le même sens. "Je ne peux pas me concentrer ni pour lire ni pour rédiger mes devoirs. Ma peine est double, l'essentiel de mes matériels académiques étant restés chez moi à Tisource".

Cleff est également étudiant à l'UEH. La situation de déplacement interne forcé l'affecte à un niveau tel qu'il pense à fermer son dossier. Sa maison pillée, le commerce de sa mère volatilisé, souvent il perd des journées de cours faute de moyens pour payer le trajet. "Ce qui ne pouvait arriver [même en rêve]", juge-t-il.

Les bandits ont saccagé la maison familiale du futur travailleur social, creusant même un passage à l'intérieur pour faciliter la voie lors des affrontements avec les forces de l'ordre.

Pour James, le plus dur c'est la séparation avec sa mère. "Nous vivons à deux depuis que j'avais dix ans. Les bandits nous ont séparés. Et maintenant qu'elle est malade, déchirement total".

Entre temps, les gangs armés continuent leur mission. Ils sont 33 333, les haitiens en situation de déplacement forcé dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, entre 8 et 20 mars 2024, selon l'Organisation Internationale pour la Migration (OIM).

* Les prénoms ont été changés

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Blondy Wolf Leblanc (Gabynho) 100

Mémorand en psychologie à la Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti (FASCH-UEH), Gabynho est un acteur culturel très influent à Carrefour où il initie et coordonne "Festival Liv Kafou", "Semèn Jèn Ekriven Kafou" et "Week-end Poétique".

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1 Commentaires

  • Obed EDOUARD

    March 31, 2024 - 04:02:27 PM

    Très bon texte.