Quand la plume de Franck S. Vanéus donne voix à l’histoire

Quand la plume de Franck S. Vanéus donne voix à l’histoire

Lorsque mon regard se posa sur Franck S. Vanéus lors de la vente signature de son livre intitulé « Dialogues infinis », j’avais ressenti un frisson étrange. Cette sensation qui vous enlise dans une torpeur indescriptible. Celle que vous ressentez quand la profondeur de votre être vous indique que vous admirez là un génie. Son assurance forçait l’admiration. Je me demandais comment un homme pouvait être aussi détendu et se comporter comme un invité à sa propre vente et signature ! Je l’aurais compris assez tôt, l’adage créole l’inculque à tout haïtien qui se respecte :sèl pa vante tèt li di l sale.

Ce jour-là, j’avais reçu un magnifique autographe en page de garde de mon exemplaire. J’emportai ce trésor qui retrouva d’autres ouvrages de ma collection. Il a fallu qu’un challenge vienne m’inciter à découvrir les perles qui s’y cachaient. Dans un style laconique, nostalgique, empreint d’une colère patriotique, l’auteur raconte l’amour au temps de Quisqueya. Cette terre déflorée, aux habitants décimés. En parcourant les premiers vers, je m’attendais vraiment à découvrir une œuvre exposant la félicité d’un amour qui embrase deux êtres victimes de l’effronterie de Cupidon. Le style narratif de l’ouvrage est un dialogue entre deux personnages iconiques de l’histoire d’Haïti. L’illustre et brave Caonabo s’adresse à la sublime Anakaona, lui déclarant, dans un premier temps, une flamme qui transcende tout son être :

A chacun de nos corps à corps / J’accoste à ton port. / De mon royal sceptre, / J’explore les recoins de ton île vierge, / Aux milles senteurs enivrantes.

Et sa dulcinée de répondre, conquise :

Quand tu as porté sur moi / Ton regard pour la première fois, / Un frisson me parcourut le corps / Et j’ai su, moi, la Fleur d’Or, / Que je serai tienne à la vie à la mort / Et ta barque accostera toujours à mon port.

Cependant, la tournure suivanteme transporta subrepticement dans un monde de nostalgie, de colère et de désolation. Aussi fort qu’était leur amour, les deux caciques n’ont pas pu échapper à la cruauté des envahisseurs qui estiment avoir « découvert » notre magnifique île. Emu, je me rendais compte, à mesure que les mots s’égrenaient, à quel point ces conquistadores étaient des êtres hantés par le comble de la vilénie, habités par la plus vile félonie. Le style impeccable de l’auteur me fit penser également que la seule fierté à laquelle pourraient prétendre ces sauvages, c’est de figurer dans une œuvre qui relate l’histoire avec autant d’art et d’émotions.

Mon sang ne fait qu’un tour ! / Je maudis ce triste jour / Avec toute la vigueur de mon amour / Pour notre peuple disparu / Décimé par des inconnus

Caonabo, qui partage avec sa belle sa peine de voir son peuple disparaitre, ne se doute pas qu’elle aussi va être victime de la barbarie de ces blancs « civilisés ». A l’assaut de cette perledes Antilles qui renferme les délices de la terre, ils n’ont aucune pitié, aucun égard pour la vie humaine.

Lors d’une cérémonie / Les Espagnols nous ont surpris / Une fois de plus, / Nos esprits endormis, / Profondément éblouis / Par la magie du spectacle / Provoquèrent la débâcle

S’ensuit alors un échange funèbre, empreint de révolte et, avec un bond dans le temps, de prédiction scellant la déchéance des envahisseurs. Le cœur meurtri de nos héros martyrs pleure l’agonie d’un peuple asservi et détruit. Mais il chante aussi, avec amour et conviction, une renaissance qui marquera l’histoire du sceau indélébile de la gloire. Pour amorcer cette reviviscence remarquable, la chute inéluctable de ces êtres infects est annoncée comme le déclic indiscutable :

Savent-ils que la poussière retourne à la poussière ? / Ils le sauront bien assez tôt / Cette terre a la mémoire des maux / Elle n’oublie jamais la souffrance / Ni l’impertinence

La souffrance séculaire de nos frères africains destinés, a priori, à remplacer, comme du bétail, les premiers occupants de cette île, se mua en rage impétueuse qui déferla tel un torrent vindicatif sur les esclavagistes. Une révolte enclenchée par Boukman, un flambeau repris par Jean Jacques Dessalines et ses valeureux généraux. Dessalines, le magnifique, le sublime, comme le décrit avec admiration Caonabo, omniscient et omniprésent sous la plume de l’auteur. Une révolte et un combat acharné qui emmènent la nation au faîte de l’histoire. Cependant, l’histoire prend une tournure qui brise, une nouvelle fois, le cœur de nos caciques qui veillent encore sur ce peuple auquel ils s’attachent comme des autochtones de pure souche, comme ils auraient pu l’être à l’égard d’Henry le fuyard. Cette fois il y avait un autre Henry, étranger aux entrailles de l’île. L’un des artisans de cette scission qui mit à mal l’émergence de la jeune nation.

Cœurs fendus, Illusions perdues, / D’une île scindée / En deux ; misère décuplée !
[…] Si l’un ne tire pas l’autre vers le haut, / Les deux peuples tomberont de haut / Et se perdront dans les bas-fonds / De l’inhumanité sans nom

Une semonce qui, cette fois, interpelle les traitres fils de la patrie qui souillent sa souveraineté au profit de leurs intérêts mesquins. Ces traitres qui giflent à tout bout de champs la grandeur de nos héros et qui piétinent les valeurs de notre chère patrie. Pris en otage par ces miséreux sans âme, sans foi ni loi, le pays devient terre de désolation et de honte pour nos caciques qui flottent dans l’espace sidéral, les yeux rivés sur ce peuple qui n’apprend plus de ses erreurs. Erreurs.

Quand les incompétents / Les ignares / Pataugeant / Dans leur mare / Accèdent au pouvoir / Le tambour de l’ignorance / Résonne sans arrêt

Ce tambour résonne encore, dans les campagnes et dans les villes ; àun rythme effréné, maléfique, entrainant le peuple zombifié dans une cadence infernale dont la seule issue est une perte inéluctable. A moins d’un réveil national opportun, qui leur permettrait de se rattacher à leurs plus nobles valeurs. Un travail nécessaire qui passe par les livres d’histoire, un regard sur le passé et la considération de cet amour patriotique considérablement placardisé. C’est un voyage qui peut commencer également à travers les pages de « Dialogues infinis », ce chef-d’œuvre qui interpelle la conscience haïtienne à un éveil salvateur pour la nation.

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Jean Rony Charles 8

Jean Rony Charles est passionné de lecture et d'écriture. Il est l'auteur de "Pitié", une nouvelle parue chez les Editions Repérages.

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