Réapproprions notre humanité par la lecture, tel est le thème de la troisième édition de Week-end poétique qui aura lieu du 18 au 20 décembre 2020. Il n'aura pas fallu beaucoup de temps à cette initiative, visant à promouvoir les jeunes auteurs de la littérature haïtienne, pour conquérir la jeunesse littéraire du pays. Week-end poétique s'inscrit déjà comme l’un des événements mensuels les plus attendus dans la commune de Carrefour .

Réapproprions notre humanité par la lecture, c'est aussi le constat que nous avons été dépossédés de notre humanité ou que cette humanité, si tant qu’elle existe, n'est plus nôtre. Or qu’est-ce qu'une femme ou un homme privé de son humanité? A peu près rien si ce n'est qu'un bien meuble. Ce processus d’expropriation de l'humanité de l'être haïtien a été amorcé par les conquistadors espagnols puis institutionnalisé par les colons français qui ont systématiquement refusé d'éduquer les esclaves. Les quelques rares esclaves qui ont pu bénéficier de l'éducation offerte par l’école coloniale n’ont été éduqués que pour les besoins de la production coloniale. Abondant dans ce sens, Joint (2018) affirme que “quelques écoles formelles qui existaient étaient réservées aux enfants des colons blancs et d’une infime minorité d’affranchis… »1.

L'expropriation de notre humanité en tant qu'être haïtien relève donc d'un processus d'exploitation qui, pour être efficace, a exclu les esclaves et continue d'exclure les descendants d'esclave du système éducatif officiel. En effet, l’État colonial et l’État haïtien n'ont su, ou mieux, n'ont pas voulu éduquer les esclaves ou les nouveaux libres. Or, l'État, nous dit Michel (2016), a pour « responsabilité de promouvoir une politique de l’éducation appropriée… avec l’ambition de promouvoir l’humanité de l’homme non par imposition d’un modèle préétabli ou par instrumentalisation. »2 Ayant donc failli à la responsabilité qui lui incombe de promouvoir l'humanité de l'haïtien par une politique d’éducation inclusive, accessible à tous et de qualité, l’État haïtien participe non seulement au processus d’expropriation de notre humanité mais aussi facilite l'action d’agents sociaux véhiculant des messages déshumanisant l'être haïtien. Nous attendons encore l'avènement de cet État qui soit capable de défendre notre humanité devant les autres peuples tout en incitant les haïtiens à la réappropriation de leur humanité .

Dans l'attente de cet État, Week-end poétique nous propose la lecture, mais surtout la lecture poétique, comme voie d’accès à notre humanité. En effet, dans une société où rabòday, chawapete et autre bòdègèt structurent les personnalités distinctives, conditionnent les attitudes, orientent les comportements, façonnent l'être social et rabaissent notre humanité à ses manifestations pulsionnelles , on ne peut que se réjouir d'une telle initiative qui invite les jeunes à la lecture pour se réapproprier leur soi et à la poésie pour extérioriser ce soi réapproprié. Et, sachant que comme le dit Lamartine : « La poésie est la langue de tous les âges de l’humanité, naïve et simple au berceau des nations, conteuse et merveilleuse comme la nourrice au chevet de l'enfant… »3, nous invitons la jeunesse haïtienne en général, et celle de Carrefour en particulier à s'approprier la lecture, notamment la lecture poétique, pour ainsi dire réapproprier son humanité.



Auteur : Citoyen Ken





JOINT, Louis Auguste (2018). Etats et héritages culturels : religions, droit et culture in Genèse de l’État haïtien (1854-1859) sous la direction de HECTOR, Michel, p. 225-241

Marc Michel, « Éduquer, former : pourquoi faire ? », Le Portique [En ligne], 4 | 1999, mis en ligne le 11 mars 2005, consulté le 12 décembre 2020. URL : HYPERLINK "http://journals.openedition.org/leportique/279" http://journals.openedition.org/leportique/279

Lamartine, Alphonse de. (1834). Des destinées de la poésie