Dans nos rangs point de traitres

Dans nos rangs point de traitres

Les traitres, ils étaient là hier. Mais, ces traitres, ils sont encore là. Ces traitres, ils sont de l’intérieur et de l’extérieur. Ces traitres, ils sont nationaux et ils sont étrangers. Ces traitres, ils sont de notre groupe social mais ils sont aussi de l’autre groupe social. Ces traitres, ils continuent leurs rêves chimériques consistant à nous empêcher d’être nous-mêmes, d’être haitien, d’être ce peuple altier, heureux et fier.


La traitrise est une expérience sociale qui se révèle douloureuse. La traitrise est vécue dans toutes les sociétés, qu’elles soient traditionnelles ou modernes, industrielles ou archaiques, monarchiques, dictatoriales ou démocratiques. Elle est vécue au sein des institutions et des groupes sociaux. De ce fait, tout être humain est sujet à des actes de trahison parce que l’être humain est d’abord un être social. Or, le social, c’est les relations, les interactions et les réseaux interactifs que se créent les êtres humains pour assurer leur survie individuelle et collective. La traitrise est donc sociale et mérite d’être l’objet d’investigation sociologique.

La trahison renvoie à une rupture d’un lien, d’une relation. Pour reprendre Åkerström et Ben-Yehuda, cités par Schehr , la trahison renvoie à l’idée d’un « franchissement » et d’un « dépassement » , d’un « jeu » avec les frontières physiques et symboliques du groupe considéré. La trahison, poursuit Schehr, suppose une « différenciation initiale entre un « Nous » et un « Eux » ainsi qu’un « mouvement » de l’intérieur vers l’extérieur […] On peut caractériser ce « Nous » comme étant une forme ou un ensemble de relations qui se constituent, s’autonomisent et se renforcent par différenciation avec l’environnement […] ». Ce nous, c’est le résultat d’un processus historique au cours duquel ceux qui en font partie ont tissé des liens, noué des relations, produit des interactions et créé des réseaux d’interactions ayant pour socle des valeurs partagées, des symboles ayant sens pour la collectivité et des normes de comportement. Ce Nous, c’est un Nous exclusif dont l’accès passe par des rites sociaux codifiés. Par ailleurs, nous dit Petitat (1998) cité par Schehr, la trahison implique une relation triangulaire entre deux amis et un « étranger » : l’un des deux amis rompt la relation et s’en va pactiser avec l’étranger. Il trahit. La trahison se déploie donc dans un espace ternaire : c’est une coalition de deux éléments contre le troisième. Ou plus exactement, c’est une coalition de deux éléments contre le troisième, l’un des deux éléments coalisés ayant changé de coalition.

Il y a donc trahison quand des étrangers accèdent au Nous sans passer par les rites initiatiques. Il y a donc trahison quand les frontières sont franchies sans considération aucune de la collectivité. C’est pour cela d’ailleurs que la traitrise est douloureuse. En effet, malgré son caractère social, les individus ne supportent pas d’être trahis. Pire, il en est qui préféreront d’être assassinés que d’être trahis. Et, nos illustres ancêtres s’inscrivent dans cette lignée. Leur reprobation de la trahison est ainsi immortalisée dans la Dessalinienne, notre hymne national: “Dans nos rangs point de traitres”. Oui, dans nos rangs point de traitres, c’est à cette seule condition que nous puissions être les seuls maîtres de notre sol, notre sous-sol, notre espace aérien et notre espace maritime. Mais que de traitres n’avons-nous pas vus au cours de notre douloureuse histoire. La traitrise est un fait récurrent de l’histoire d’Haïti. Nous nous rappelons des traitres qui ont assassiné l’empereur Jacques Ier, le 17 octobre 1806, à Pont-Rouge. Nous nous rappelons de Jean-Baptiste Conzé, celui-là qui a trahi Charlemagne Péralte en ayant permis aux occupants américains de le capturer et de l’exécuter le 1er novembre 1917. Le nom de Conzé est même resté dans la mémoire collective haitienne comme synonyme de traitre, au même titre que le personnage biblique Judas.

Les traitres, ils étaient là hier. Mais, ces traitres, ils sont encore là. Ces traitres, ils sont de l’intérieur et de l’extérieur. Ces traitres, ils sont nationaux et ils sont étrangers. Ces traitres, ils sont de notre groupe social mais ils sont aussi de l’autre groupe social. Ces traitres, ils continuent leurs rêves chimériques consistant à nous empêcher d’être nous-mêmes, d’être haitien, d’être ce peuple altier, heureux et fier. Reprenant le schéma triangulaire proposé par Petitat pour illustrer la trahison, nous avançons que les élites nationales ont trahi la masse haïtienne au profit de l’étranger, leur « étranger ». Ces élites ont entretenu et continuent d’entretenir des rapports d’exploitation et de domination avec la masse haïtienne malgré l’appel que leur a adressé Jean Price Mars dans son ouvrage intitulé La vocation de l’Élite. Cette élite est à combattre pour sa trahison. Cette élite ne doit bénéficier d’aucun pardon de même que Judas n’a pu bénéficier du pardon universel du Christ.





Notes bibliographiques
1. Julie Meyer, « Trahison(s) », Droit et cultures [En ligne], 74 | 2017-2, mis en ligne le 31 août 2017, consulté le 08 avril
2. Sébastien Schehr, Cahiers internationaux de sociologie 2007/2 (n° 123), pages 313 à 323

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Citoyen Ken 25

Sociologue, Maître en études humanitaires

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3 Commentaires

  • Beaubrun

    April 17, 2021 - 03:26:24 PM

    Félicitations !
    Tèks la kite m sou swaf mwen. M ap tann idantikasyon rès trèt yo.

  • Dedens

    April 17, 2021 - 03:35:16 PM

    Gwo kout chapo pou ou sitwayen ken

  • Moïse JEAN

    April 18, 2021 - 11:38:03 PM

    Il y a donc trahison quand les frontières sont franchies sans considération aucune de la collectivité .

    Félicitations mon ami Grand frère.
    Un article très intéressant, enrichissant et fructueux.