Un état d’urgence dans l’indigence d’État

Un état d’urgence dans l’indigence d’État

L’état d’urgence n’a de sens que dans une société démocratique car elle suppose la mise à l’écart des principes constitutionnels et légaux.



Le gouvernement haïtien a publié , le 22 mai 2021, un arrêté(1) décrétant l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire national pour une période de huit jours afin de faire face, dit-on, à la deuxième vague de Covid19. L’état d’urgence sanitaire a été renouvelé pour une durée de 15 jours par un nouvel arrêté en date du 31 mai 2021. Nous profitons de l’occasion pour jeter un regard critique sur l’état d’urgence sanitaire.

L’état d’urgence désigne une situation dans laquelle s'applique un régime restrictif de certaines libertés fondamentales et des pouvoirs exceptionnels de l'Exécutif qui se justifient par une situation de catastrophe naturelle avérée ou imminente et qui requiert l'adoption de mesures urgentes. Dans le contexte haïtien, ce régime restrictif est soumis à un cadre légal exceptionnel constitué du décret du 15 mars 2021 révisant la loi du 15 avril 2010 portant amendement de celle du 9 septembre 2008 sur l’état d’urgence.

Si l’état d’urgence renvoie à des situations générales de catastrophe naturelle, l’expression état d’urgence sanitaire(2) renvoie particulièrement à une période pendant laquelle, pour lutter contre une catastrophe sanitaire, les autorités d’un pays se dotent de nouveaux pouvoirs temporaires. Par exemple, les autorités haïtiennes ont déclaré l’état d’urgence sanitaire en 2010 à cause du choléra qui y a été introduit par les forces des Nations Unies. L’objectif de l’état d’urgence sanitaire est de protéger la population contre une menace épidémique ou pandémique réelle. L’exécution des mesures d’état d’urgence sanitaire est donc à surveiller par les citoyens en raison de ses implications juridiques.

L’état d’urgence n’a de sens que dans une société démocratique car elle suppose la mise à l’écart des principes constitutionnels et légaux. Ainsi, Rousseau (2006) (3) souligne à juste titre que l’état d’urgence est la mise en suspension de l’état de droit car les principes constitutionnels qui fondent l’état de droit et qui le distinguent ainsi que les mécanismes et exigences du contrôle constitutionnel sont mis à l’écart. Autrement dit, dans une situation d’état d’urgence, l’Etat privilégie la sauvegarde de l’ordre public sur le respect des droits fondamentaux.

Dans une société caractérisée par la violation systématique des droits fondamentaux, l’état d’urgence n’a aucun sens. Les droits fondamentaux du citoyen haïtien sont constamment violés par les plus hautes autorités. La constitution ainsi que la loi sont systématiquement violées. Les institutions républicaines sont gérées selon le bon plaisir des détenteurs du pouvoir dans le mépris des prescrits légaux. Or, l’état d’urgence est censée protéger la population dont l’Etat a constamment violé les droits. Alors qui veut-on protéger en déclarant l’état d’urgence ? Ou, mieux, de quoi veut-on profiter en déclarant l’état d’urgence ?

La protection de la population contre la pandémie de Covid19 n’est pas automatique avec les seules décisions de l’état d’urgence. Il faut, entre autre, des mesures d’accompagnement pour les groupes vulnérables, le contrôle des mesures arrêtées et du comportement d’ensemble de la population ainsi que le suivi et l’évaluation systématique de la catastrophe dont l’état d’urgence est censé géré. En considérant cette liste non exhaustive, il est évident que nous sommes dans un état d’urgence dans l’indigence d’Etat.




Note
1. Le Moniteur. Arrêté renouvelant, pour une période de 15 jours, l’état d’urgence sanitaire déclaré sur toute l’étendue du territoire national, spécial numéro 28, 31 mai 2021
2. dictionnaire orthodidacte.com
3. Rousseau, Dominique. (2006). L’état d’urgence, un état vide de droit(s) dans Revue Projet 2006/(no 291), p.19-26

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Citoyen Ken 24

Sociologue, Maître en études humanitaires

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