Aujourd'hui Gabynho donne la parole à Witerwan Kenley Jean. Né un 12 avril, Kenley est actuellement étudiant en sociologie au Campus Henry Christophe de l’Université d’État d’Haïti à Limonade (CHC-UEH-L). Il est également récipiendaire du prix international de l’invention Poétique 2024, avec le recueil « Nul oiseau ne viendra picoter nos tombes ».
Œuvres publiées :
Goudevan, Rasin éditions.
Nul oiseau ne viendra picoter nos tombes, Caraïbéditions.
Mille éclats de silence bruitent mon poème, VARELLA Éditions.
Witerwan Kenley Jean: Écrire reste le meilleur refuge face à l'urgence et les défis du temps

Vous êtes un habitué des prix littéraires. Vous avez gagné, entre autres, le 2ème prix de vers libres en 2023, et la catégorie française du prix international de l'invention poétique en 2024. Qu'est-ce-que cela apporte à votre carrière d'écrivain?
Étant jeune dans le milieu et évoluant en milieu rural, les prix littéraires m’apportent une certaine reconnaissance dans le paysage culturel mondial et m’incite poursuivre mon chemin. Cela booste ma confiance.
Ce qui se passe en Haïti actuellement est infernal. Massacres. Territoires perdus. Plus d'un million de PDIs. L'écrivain que vous êtes a-t-il un rôle à jouer pour redresser la barque?
Ce qui se passe en Haïti en ce moment est inquiétant et devient de plus en plus difficile à décrire tant par le fait qu’il déstabilise que par le fait qu’il répugne.
Si l’écrivain que je suis à un rôle à jouer ? Je peux dire oui. Mais est-ce que cela suffira à redresser la barque ? J’en doute. Déjà mon écriture s’inscrit dans une logique de retranscription du réel. Réel qui, dans l’espace où j’évolue, se dégrade de jour en jour. Dans une époque où la littérature perd souffle dans l’univers social, penser un impact mécanique et escompté de celle-ci me paraît illusoire. D’autres en plus, les voix littéraires se divergent encore quant à l’embrasement de la cause haïtienne. Toutefois, s’engager à travers l’écriture demeure essentiel pour la préservation d’un héritage culturel qui, jusqu’ici, ne cesse de faire écho dans le monde.

Ces jours-ci de plus de plus de jeunes, de moins jeunes également, publient leurs premières oeuvres. Ils sont nombreux à rafler des prix littéraires. Comment expliquez-vous cela. Y-a t-il urgence d'écrire?
Comme un soldat qui part en guerre, qui ne sait pas ni quand ce sera fini ni s’il reviendra en vie. Comme un malheureux qui tend à entamer l’ultime voyage en mettant fin à ses jours. Ou comme chacun d’entre nous, sous la pression d’un quelconque sentiment. Écrire reste le meilleur refuge face à l’urgence et les défis du temps. Et donc les jeunes d’aujourd’hui, livrés à eux-mêmes et éventuellement en perte de repères, se fient à l’écriture pour échapper à la réalité cruelle qui peint le ciel d’Haïti. Pour beaucoup, publier un livre peut paraître un acte ordinaire et même anodin, mais c’est une façon de laisser son empreinte sur la scène littéraire. Une façon de rester vivant. Alors oui, il y a une urgence de vivre, d’aimer, de se foutre en l’air et aussi d’écrire.
Deux, trois, quatres livres de votre bibliothèque avec lesquels vous voyageriez sur une île déserte...
Pour un voyage sur une île, je prendrais "Le très bas" de Christian Bobin. Une narration que j’apprécie beaucoup, particulièrement pour sa souplesse, son côté poétique et toute la sagesse qui en découle.
C’est un livre qui parle en silence, qui transporte lentement, qui nous fait naviguer en nous même et nous plonge au plus profond de notre être. Je crois bien qu’il me suffirait si je ne pouvais en apporter qu’un seul.
Je prendrais après, "Compère Général Soleil". De part la force inébranlable de cette œuvre de Jacques S. Alexis, il y a ce côté universel que j’ai toujours senti en moi le désir de perpétuer. Je ne le relis pas souvent, mais c’est un livre qui a marqué mon écriture par sa richesse lexicale et son ancrage dans l’haïtianité.
"Lakou Zandò", cette pépite de mon frère poète Ansky Hilaire est d’une profondeur philosophique et poétique inéluctable. Je le prendrais pour parler à la mer.
Présentez-nous votre atelier d'écriture. Avez-vous un rituel particulier?
La plupart des écrivains se focalisent sur la lecture pour produire. Moi, j’appréhende autrement la production littéraire. Pour écrire, je me tais, je m’isole et j’écoute. Comme le souligne Gaël Faye, qui est d’ailleurs un artiste que je consomme beaucoup, : « la musique est la seule chose que je m’autorise en écrivant ».
Mon espace d’écriture est donc composé de musiques, des sessions de silence, de solitude, de quelques livres et d’un dictionnaire.
Pour moi, avoir un rituel ce serait dicter à la muse quand m’insuffler sa parole salvatrice. J’écris tout partout et en tout temps. Dans mon carnet ou dans mon téléphone. Je n’ai pas ce luxe d’attendre un moment où d’être dans un lieu pour écrire. L’inspiration ne fait que passer un moi, et si je ne l’imprime pas quelque part au moment où elle est venue, elle repartira vite fait.

Blondy Wolf Leblanc (Gabynho) 116
Mémorand en psychologie à la Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti (FASCH-UEH), Gabynho est un acteur culturel très influent à Carrefour où il initie et coordonne "Festival Liv Kafou", "Semèn Jèn Ekriven Kafou" et "Week-end Poétique".
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