Au fond du gouffre

Au fond du gouffre


Je me suis réveillé ce matin en sursaut par des rafales d’armes automatiques provenant du bicentenaire. Je croyais que le spectacle désolant entre des forces de l’ordre, un tant soit peu, désireuses d’en découdre avec des pseudos bandits et des politiques grugeant la majorité tout en protégeant leurs intérêts et alliés conjoncturels, se poursuivait. Quand les premières images et vidéos ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux, les sentiments empreints de déjà-vu qui me traversaient, se sont vite estompés pour laisser place à l’effroi. 

Malgré tout, j’aurais pu passer à autre chose me disant, comme beaucoup, qu’il existe une justice divine en ce bas monde, si un jeune ami-frère, par ses commentaires, ses larmes et son indignation ne m’avait poussé dans les derniers retranchements de mon humanité. 

Certes, ceux dont les cadavres étaient piétinés, déshumanisés par des jeunes gens heureux et fiers devant la mort de leurs frères, avaient beau être des policiers-les mêmes qui empêchent aux populations de revendiquer pour une société plus juste- mais, ils avaient une famille et resteront à jamais des êtres humains, des Ayisyen. Toute mon indifférence s’est évaporée. Et je me suis demandé comment Ayiti a pu atteindre ce degré d’inhumanité, cette somalisation de la vie? Quelles sont les possibilités de chambarder définitivement ce système déshumanisant et destructeur? Quels sacrifices ne faut-il pas consentir pour y parvenir?

Les réponses ne sauraient être individuelles. La société doit se remettre en question. Les dix dernières années ont vu l’émergence d’une catégorie d’hommes et de femmes avides dilapidant nos maigres ressources pour assouvir leur faim. Elles sont aussi marquées, à tous les niveaux et dans toutes les sphères d’activité, par l’avènement de diverses formes de savoir, de savoir-faire et d’échanges sociaux indignes des descendants d’Anacaona, de Toussaint Louverture et de Dessalines. 

Le pays va mourir si nous ne changeons pas de cap tout de suite. L’érosion de la pensée qui caractérise les politiques finira pas provoquer l’exode total, massif et global de la société dans son ensemble. Ailleurs est peut-être meilleur. Trop de rêves ont été volés. Trop de vies gâchées. Trop de compétences gaspillées. Il faut endiguer, une fois pour toute, la rivière du sang en crue dans notre pays. Nous devons chasser à grands coups de pied au cul les incapables qui se disent politiques et qui nous précipitent dans les égouts de l’indignité. Il le faut. 

Ayiti est devenue la risée du monde. Ayiti est une catin. Ayiti assiste, impuissante, à la mise à mort collective de ses fils fuyant la catastrophe annoncée depuis des lustres et, de tous ceux violés, kidnappés, assassinés, par leurs frères, sous le regard complice, parfois, des instances concernées dans les villes, les quartiers, les départements, un peu partout sur ce qu’il lui reste de territoire. Ayiti est sans dessus dessous. Ayiti n’est pas dirigée ni administrée. Le cri de Monferrier continuera de résonner dans le grand désert des consciences de ces hommes et femmes qui se disent dirigeants. Ils ont la conscience sale. Leur corps aussi. La saleté est partout en eux, chez eux, autour d’eux. Ils sont la saleté. 

Quant aux jeunes chef de guerre fanfaronnant devant les corps inertes de leurs frères policiers parce que le vent de la violence aveugle souffle dans leur direction, emportant au loin, ces infortunés en uniformes, ennemis d’un moment, aujourd’hui, ils pleureront sans l’ombre du doute, des larmes de sang quand le vent changera de direction. Ils seront chopés bientôt par la mort. Évidence. Nous vivons les heures les plus sombres de notre histoire récente.

Les politiques, tels des karanklou, sucent le sang de tout un peuple, aidés des prétendus pays amis. Aucune planification. Aucune volonté de changement. Aucun sens des responsabilités. Paraître, leur unique credo! Le moment n’est-il pas venu de faire table rase de tous ces gens? Le sauvetage national est à ce prix. En attendant la situation s’aggrave d’heure en heure. Nos frères tombent et vont continuer à tomber sous les balles de leurs frères. De jeunes policiers laisseront des veuves, des filles, des fils éplorés. Les pseudos bandits, produits des nantis de ce pays, partiront aussi, dans l’anonymat, abandonnant copines, mères et amis dans la tristesse. Que faire de leurs patrons? Ils en recruteront d’autres. Probablement. Et le cycle infernal continue. In fine, Ayiti perdra encore des ressources. Oui, des deux côtés, son mal est infini.



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Franck S. Vanéus 43

Avocat et Philosophe...

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6 Commentaires

  • Wendy Carl-Henry CHÉRY

    March 13, 2021 - 12:48:30 PM

    Le texte dit tout par rapport à la conjoncture sociopolitique que connaît le pays depuis plus de deux ans
    À mon humble avis ce texte est porteur de deux messages
    > faits relatés très sombres situations
    > nécessité de changer de cap sans calculs
    Je m'en réjouis de voir et de savoir qu'il y a des hommes de bien Ayitien qui pensent aux biens d'Ayiti
    Donc l'approche du texte est sensibilisation alors je me demande combien seront sensibilisés ? Ne s'avère t'il pas nécessaire de changer ce texte en créole dans l'objectif de toucher un nombre plus important par rapport à l'idéal du texte
    Ne nous décourageons pas tant qu'il y a vie il y a de l'espoir, un grain de sel aussi petit que ça soit peut changer la saveur d'un verre d'eau
    Bravo Me Franck S. VANÉUS

  • Alix isidor

    March 13, 2021 - 12:50:23 PM

    Bon tèks anpil profondè

  • Jeanty gessie

    March 13, 2021 - 07:01:01 PM

    Merci maître Vaneus, je reprend un peu de force ,e

  • serge

    March 13, 2021 - 07:33:18 PM

    Waw m vreman renmn tex sa fok neg anwo yo ta lil

  • Myname

    March 14, 2021 - 05:20:53 PM

    Très poignant et très réaliste.

  • Kendy

    March 19, 2021 - 11:42:53 AM

    Très profond