Au rythme des groupes armés et de leurs bailleurs

Au rythme des groupes armés et de leurs bailleursCP: Le Nouvelliste

En Ayiti, nous n’avons donc pas de groupes armés non étatiques mais plutôt des groupes armés qui ont pris naissance à la faveur des jeux de pouvoir et de l’instabilité politique.

Le phénomène des groupes armés a connu une évolution rapide en Ayiti au cours de ces trente dernières années au point d’être considéré comme l’un des problèmes d’intérêts publics majeurs auquel est confrontée la société. Cette évolution fulgurante des groupes armés a entrainé un accroissement de la violence armée tant du point de vue de la fréquence des actes de violence que du point de vue de leur intensité. De même, nous assistons à une généralisation de la violence armée dans la mesure où elle n’est plus circonscrite et cible de plus en plus la population civile. Il n’y a pratiquement pas une ville du pays où n’opèrent des groupes armés. Continuerons-nous à vivre à leur rythme?

Il est opportun de rappeler que les termes groupes armés et groupes armés non étatiques ne sont pas interchangeables et ne désignent pas la même réalité. Le terme groupe armé non étatique désigne généralement une partie non étatique dans un conflit armé international ou non international. Si l’on se réfère au Protocole additionnel II aux Conventions de Genève d’août 1949, les groupes armés non étatiques sont considérés comme des « forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés qui se battent contre des forces armées régulières ou entre eux sur le territoire d’un ou plusieurs États. » En Ayiti, nous n’avons donc pas de groupes armés non étatiques mais plutôt des groupes armés qui ont pris naissance à la faveur des jeux de pouvoir et de l’instabilité politique.

Il existe toutefois des similitudes entre le mode de création des groupes armés non étatiques et des groupes armés exerçant en Ayiti. Les groupes armés non étatiques ont fait l’objet de plusieurs études qui ont permis de comprendre leur mode de création. La Grange et Balencie (2002) cités par Conesa (2003) ont proposé trois grandes catégories de groupes armés non étatiques. Il y a les acteurs armés religieux non étatiques à dimension apocalyptique, puis les groupes armés non étatiques de nature exclusivement criminelle disposant d’une base sociale identifiée et les groupes armés d’essence politique nés d’une logique de libération politique qui, en raison de leur incapacité à réaliser leur mission originale, se sont progressivement orienté vers des activités criminelles. Dans le cadre de ce texte, nous nous intéressons surtout à la troisième catégorie en raison de ses similitudes avec les groupes armés en Ayiti.

En effet, tous les groupes armés qui terrorisent la population haitienne depuis la crise politique née des élections frauduleuses de 2000 sont nés d’une logique de libération ou de lutte politique. C’est le cas par exemple des chimères qui défendaient le pouvoir Lavalas entre 2000 et 2004, des GNBISTES dont la forme militarisée est connue sous le nom d’assaillants commandés par Guy Philippe entre 2003 et 2004, de l’opération Bagdad entre 2004 et 2006 ou encore de certains acteurs du mouvement Peyi Lòk qui s’opposaient à l’administration du président Jovenel Moïse entre 2018 et 2020. C’est également le cas des groupes 400 Mawozo, de Village de Dieu, de Gran Ravin, de Ti Bwa ou de G9 an fanmi e alye. Ils partagent tous la caractéristique d’avoir voulu protéger un certain pouvoir politique ou de récupérer le pouvoir politique comme bras armé des acteurs politiques et économiques. D’autres groupes armés sont nés de la demande de certains particuliers d’être protégés par des individus armés. C’est le cas de certains agents de sécurité rapprochée ou de détachement de policiers à certains officiels qui profitent, sous couvert de leur fonction officielle, d’entreprendre des activités criminelles.

Dans cette perspective, nous pouvons voir les groupes armés comme des milices privées au service d’intérêts politico-économiques divergents. De ces intérêts politiques et économiques divergents naissent la violence armée constatée et vécue par la population ayitienne, notamment par la classe moyenne et les masses populaires. Ce qui nous amène à parler de la privatisation de la violence armée en Ayiti dans la mesure où, dans l’état actuel, la violence armée répond à la fois à une logique existentielle pour les membres des groupes armés et à une logique de statu quo des intérêts politiques et/ou économiques des bailleurs de la violence armée.

Le démantèlement des groupes armés ne se fera donc pas en ciblant seulement les hommes de main. Cela passe aussi par le démantèlement des réseaux qui financent et qui arment ces groupes. Sans cela, ils continueront de se renouveller et la société continuera à vivre au rythme des groupes armés et de leurs bailleurs.



1. Protocole additionnel II aux conventions de Genève, 1949, art. 1.1
2. CONESA, Pierre. Groupes armés non étatiques : violences privées, sécurités privées dans revue internationale et stratégique, 2003/1 (no 49), page 157 à 164, https://doi.org/10.3917/ris.049.0157

Share

Citoyen Ken 24

Sociologue, Maître en études humanitaires

Laisser un commentaire

1 Commentaires

  • Patrick Mejustin

    March 29, 2022 - 04:00:31 PM

    Se paske anpil ladan yo se anti peyi,anti chanjman yo pa Ayisyen