Le peuple haitien entre quêtes de survie et de bien-être

Le peuple haitien entre quêtes de survie et de bien-être

Vous l’aurez donc compris, l’histoire de l’haïtien est une histoire de choc, une histoire sanglante et meurtrière caractérisée par une quête incessante de survie.

L’être haïtien est né du choc des civilisations européenne, africaine et amérindienne. Ce choc civilisationnel est d’une grande considération dans la formation de la personnalité de l’haïtien. En effet, la personnalité, selon Morin et Bouchard (1992), comporte un aspect témoignant des similitudes entre les membres de l’espèce, et un autre qui relève des particularités de chaque individu. Autrement dit, la personnalité intègre et se présente à la fois sous une forme individuelle et collective. Durkheim fut l’un des premiers chercheurs à proposer des concepts rendant compte de cette réalité dans sa théorie des consciences individuelle et collective. Dans ce texte, nous nous intéressons davantage aux manifestations de la conscience collective dans l’incessante quête de bien-être du peuple haïtien.

Nous voulons rappeler que la rencontre entre les européens et les amérindiens dans le contexte de l’ordre colonial esclavagiste a été marquée par la domination de ceux-ci par ceux-là. Dès le début donc, l’indigène devait lutter pour survivre, échapper aux conséquences néfastes de la cupidité et de l’enrichissement illicite du colon espagnol. Après des années de lutte, les amérindiens ont été vaincus et massacrés. Les rapports de force ayant été favorables aux colons espagnols, les amérindiens ont été réduits en esclavage avant d’être quasiment exterminés. Confrontés à la pénurie de ressources humaines serviles, les colons espagnols se sont tournés vers l’Afrique pour compenser la main d’oeuvre servile que constituaient les amérindiens. Ce détour vers l’Afrique a donné lieu à la traite négrière, soit la plus déshumanisante entreprise commerciale jamais réalisée par le capitalisme mondial. Vous l’aurez donc compris, l’histoire de l’haïtien est une histoire de choc, une histoire sanglante et meurtrière caractérisée par une quête incessante de survie.

Arrachés de force pour être vendus comme esclaves dans cet espace que les occidentaux ont dénommé Amérique, beaucoup de noirs, venus de divers pays d’Afrique, ont rendu l’âme dans les cales des négriers ou sous les eaux des océans. D’autres ont dû lutter pour survivre au cours du voyage transatlantique. Face à l’aliénation spirituelle et matérielle résultant de la conquête de l’Amérique et de la déportation massive et illégale des africains vers l’amérique, il en est résulté une psyché de survie chez l’être haïtien. Tout compte fait, la survie à tout prix était, et demeure aujourd’hui encore, la priorité de l’haïtien au détriment de l’hypothétique bien-être collectif.

Des dictons tels tout koukouj klere pou je w témoignent de ces attitudes et comportements de survie séculiers, caractéristiques de la formation psychique de l’haïtien. Ces attitudes et comportements, bien considérés, peuvent nous permettre de jeter un regard nouveau sur l’inaction de la majorité des haitiens dans la lutte politique actuelle: celle entre les forces constitutionnelles et anticonstitutionnelles; celle entre les forces du changement et du statu quo.

Suivant les deux postulats fondamentaux de la psychanalyse freudienne, le fonctionnement de l’appareil psychique est divisé en phénomènes conscients et inconscients. Ceux-ci sont eux-mêmes constitués de phénomènes refoulés et de pulsions. L’éveil des pulsions signale un déséquilibre organique et, dès lors, l’individu doit rééquilibrer son organisme. Cette homéostasie engage des forces et des contre-forces d’où résultent d’importantes dépenses d’énergies. Etant doté d’une quantité d’énergie psychique limitée, l’individu ne peut plus s’engager dans des activités saines lorsque son énergie psychique est utilisée de façon excessive sous une forme pathologique.

Cette explication du fonctionnement de l’appareil psychique peut éclairer les attitudes et comportements de la majorité silencieuse en Haïti. En effet, avons-nous dit, le conditionnement à la survie est l’une des caractéristiques de la conscience collective haïtienne. Cette conscience collective, conditionnée à la survie, est la résultante des chocs civilisationnels ayant contribué à notre personnalité en tant que groupe social spécifique. Pendant toute son existence, l’haïtien lutte pour survivre. La plus grande quantité de l’énergie psychique de l’haïtien est dépensée pour répondre à des besoins primaires qui, le plus souvent, sont mal satisfaits. Il est dès lors presqu’illogique de demander à quelqu’un qui passe une bonne partie de son existence à réfléchir et à développer des stratégies de subsistance à s’intéresser à l’inconstitutionnalité et l’illégalité de la présence de M. Jovenel Moïse au palais national au-delà du 7 février 2021. Non plus, on ne peut demander à un tel individu à réfléchir sur les conséquences désastreuses qu’entrainera par exemple le référendum visant à amender la constitution haïtienne de 1987. En fait, on ne peut pas le lui demander car son énergie a été consommée dans sa quête de survie dans l’immédiat. Or s’il faut aspirer à un bien-être collectif, à une société haitienne juste, équitable et inclusive, l’haïtien doit cesser à réfléchir uniquement dans et pour le présent. Et c’est là toute la dialectique de la question.


Mackendy Jeunay

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Citoyen Ken 25

Sociologue, Maître en études humanitaires

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3 Commentaires

  • Dieudonné A.

    March 29, 2021 - 06:52:48 PM

    Très belle réflexion !

  • Serge

    March 29, 2021 - 07:28:58 PM

    Très bon travail et bonne réflexion

  • Gandhi

    March 29, 2021 - 08:07:17 PM

    Au delà, de sa sarusfaction de ses besoins humains indispensable, s'élèvent les besoins de l'esprit pour pouvoir réfléchir. L'haitien a besoin d'être placé dans une condition sociale pour au moins à penser et à critiquer.

    Très belle réflexion pour amorcer le débat sur l'art de penser chez la majorité des haïtiens