Nécessité d’une expertise contre la corruption en Ayiti

Nécessité d’une expertise contre la corruption en Ayiti

La société ayitienne a urgemment besoin d’une expertise contre la corruption car elle est la seule capable à nous porter à faire un usage responsable de l’expertise technique en gestion des risques et désastres.



Ayiti se trouve à la frontière des plaques tectoniques Amérique du Nord et Caraïbes. Ces plaques, nous dit Claude Prepetit (1) , se déplacent annuellement à une vitesse d’environ 2 cm l’une par rapport à l’autre en s’accomodant des mouvements sismiques sur deux failles actives. La première faille est appelée faille de cibao. Elle est située le long de la côte nord d’Ayiti jusqu’à la vallée de Cibao en République Dominicaine. La deuxième est la faille enriquillo traversant la presqu’île du sud, de Tiburon à Port-au-Prince, jusqu’à la vallée d’Enriquillo en République Dominicaine. Tous les séismes recensés en Ayiti ont été provoqués par l’activité de l’une ou l’autre de ces deux failles. Cela nous aide à comprendre qu’Ayiti ne sera jamais à l’abri des séismes et qu’une expertise nationale en matière de gestion des risques et des désastres s’avère nécessaire. Au-delà de cette expertise technique, la société ayitienne a urgemment besoin d’une expertise contre la corruption car elle est la seule capable à nous porter à faire un usage responsable de l’expertise technique en gestion des risques et désastres.

Les témoignages de l’histoire nationale nous révèlent à quel point le pays est exposé au risque sismique. En effet, l’île d’Ayiti a déjà connu bon nombre de séismes. Moreau de Saint-Méry, cité par Prepetit (2), a rapporté pas moins de 18 séismes en Ayiti entre 1564 et 1789 dont les deux plus marquants sont ceux du 18 octobre 1751 et du 3 juin 1770 ayant détruit la ville de Port-au-Prince. Saint-Méry nous en fait la description suivante:

Le 18 octobre 1751, à deux heures de l’après-midi, par un temps calme et serein, la terre se mit à trembler à Port-au-Prince avec deux secousses violentes qui durèrent environ trois minutes. La terre eut, jusqu’au 25, des balancements, comme si elle n’avait pas trouvé d’assiette. La ville de Saint Domingue perdit plusieurs édifices. Le 28, on éprouva trois secousses, le 29 deux et le 19 novembre encore deux extrêmement fortes. Le 21 novembre, à 8 heures du matin, durant un calme profond, il y eut une légère secousse à Port-au-Prince. Des secousses plus violentes suivirent. Une seule des maisons de maçonnerie ne fut pas renversée. Quelques-unes de charpente tombèrent. Les casernes, le magasin général et une aile de l’intendance s’écroulèrent. Le 22, les bâtiments qui avaient résisté la veille furent détruits, et du 19 au 22, la terre ne fut pas stable un seul instant. Le soir et le matin un bruit comme celui d’un canon souterrain annonçait de nouvelles agitations. Du 22 novembre au 8 décembre, il y eut 25 secousses, et pendant près d’un mois, nul homme n’osa se placer sous un autre asile qu’une tente. Les ravages de tant de secousses furent sensibles depuis Léogane inclusivement jusqu’aux Gonaïves.

De son côté, le Père Scherer a rapporté 16 séismes après 1797 dans l’intervalle de 1818 à 1962. Cette période de l’histoire sismique d’Ayiti est marquée par le séisme dévastateur du 7 mai 1842 détruisant littéralement la ville du Cap Haïtien et renversant presque toutes les villes du Nord, Port-de-Paix, Gonaïves, Fort-Liberté et dans la République Dominicaine, Santiago, Puerto Plata. Monseigneur J.M Jan, cité par Prepetit (3), nous en fait la description suivante :

Le samedi 7 mai 1842, deux jours après la fête de l’Ascension, on entendit vers les 5 h et demie de l’après-midi comme le bruit d’un tonnerre souterrain, accompagné de plusieurs secousses si violentes qu’en moins de quelques secondes, la ville du Cap fut transformée en un vaste champ de ruines ; tellement subites que la plupart des habitants n’eurent le temps ni de fuir, ni de se dire un suprême adieu. Trois personnes furent ensevelies sous les décombres de la cathédrale et plusieurs milliers sous les décombres de leurs maisons. Au moment où la ville s’écroulait, le ciel fut tellement obscurci par les tourbillons de poussière que l’on aurait dite une nuit complète. La mer se précipita sur la ville, jusque dans les maisons qui bordent le quai et se retira aussitôt, fort heureusement. Mais les commotions en ébranlant les profondeurs avaient amené à la surface tant de vase et de détritus de toutes sortes que l’eau était noire dans tout le rade.

Plus récemment, le 12 janvier 2010, à 16h 53 minutes, Ayiti est frappé par un terrible séisme de magnitude 7.3 sur l’échelle de Richter. Les dégâts sont immenses : environ 230 000 morts, près de 300 000 blessés et environ 1,5 million de sans-abri, sans oublier les dommages matériels, évalués à un peu plus de 14 milliards de dollars US (4). Au moment où nous écrivons ces lignes, selon un bilan partiel de la Direction de la Protection Civile (5) , les dégâts causés par le séisme de magnitude 7.2, survenu le 14 août 2021 dans le sud du pays, s’élèvent à 1941 morts, 9900 blessés, 60759 maisons détruites, 76121 maisons endommagées, 684000 personnes en situation d’assistance humanitaire d’urgence sans compter les conséquences sur une économie déjà extrêmement précaire.

En remontant les temps historiques de l’île d’Ayiti, nous voici déjà à près de six siècles d’activités sismiques. Et, un peu plus de deux siècles après la proclamation de l’indépendance nationale le premier janvier 1804, le pays a connu pas moins de 18 tremblements de terre majeurs les uns plus meurtriers que les autres. Et, à chaque fois, nous nous lamentons, nous nous apitoyons sur notre sort, nous attendons impuissants et impatients l’aide humanitaire internationale pour voler au secours des victimes. Mais, nous nous demandons très rarement pourquoi les tremblements de terre causent-ils autant de dégâts en Ayiti. Nous refusons de nous poser cette question car la réponse nous mettra en face de notre responsabilité citoyenne.

Nous devons savoir que les tremblements de terre, en tant qu’aléas naturels, ne tuent pas. Ce qui tue, en revanche, c’est notre vulnérabilité face au risque d’occurrence des aléas. En fait, Ayiti est un pays exposé à divers types d’aléas dont les tremblements de terre. L’aléa peut être défini comme une source possible de danger (6) . Le risque, c’est la probabilité qu’une personne exposée à un aléa quelconque puisse en être victime. Les tremblements de terre sont donc des aléas naturels qui nous exposent à des risques sismiques naturels, c’est-à-dire qu’ils impliquent l’exposition des populations et de leurs infrastructures à un événement catastrophique d’origine naturelle. Les populations exposées au risque sismique en seront victimes si et seulement si elles sont vulnérables, c’est-à-dire si les populations sont incapables de résister ou de répondre de façon appropriée aux désastres qui s’en suivent du fait de l’occurrence du risque.

Or, il se trouve que la grande majorité de la population ayitienne est vulnérable. Cette vulnérabilité prend sa source dans les pratiques politiques corrompues des dirigeants ayitiens et dans la mise à l’écart d’Ayiti par une frange de ce qu’on appelle la communauté internationale. Il en résulte des communautés vulnérables au point de vue social, physique, environnemental et économique. Voilà donc ce qui tue nos communautés exposés à des risques naturels. Et, en attendant l’assistance de l’état ayitien aux populations du sud, laquelle assistance nous étonnerait si elle arrivait effectivement aux victimes, il nous faut une expertise contre la corruption pour que nos compatriotes cessent d’être des victimes constamment en quête de l’assistance humanitaire internationale.






Référence
1. PREPETIT, Claude. Tremblement de terre en Haïti: Mythe ou Réalité, p. 7
2. Op.cit., p.2-3
3. Op.cit., p. 5
4. Evens Jabouin, « Haïti, en situation post-séisme : quelques effets de la catastrophe du 12 janvier 2010 sur la population locale », Études caribéennes [En ligne], 17 | Décembre 2010, mis en ligne le 15 décembre 2010, consulté le 18 août 2021. URL : http://journals.openedition.org/etudescaribeennes/4842 ; DOI : https://doi.org/10.4000/etudescaribeennes.4842
5. Lenouvelliste.com, 17 août 2021
6. www.ccohs.ca. Page consultée le 18 août 2021

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Citoyen Ken 24

Sociologue, Maître en études humanitaires

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