Opinion|Et si la République Dominicaine était une menace existentielle pour Ayiti?

Opinion|Et si la République Dominicaine était une menace existentielle pour Ayiti?

La menace existentielle dans le contexte de la géopolitique, selon Kenneth N. Waltz1, fait référence à toute menace ou menace potentielle qui met en danger la survie ou la sécurité d'un État-nation en tant qu'entité souveraine. Les menaces existentielles peuvent découler de diverses sources, telles que des conflits militaires, des rivalités économiques, des tensions politiques, des conflits territoriaux, ou d'autres facteurs susceptibles de perturber la stabilité et l'intégrité d'un État sur la scène internationale." Il est important de noter que la perception de la menace existentielle est souvent subjective et peut varier d'un pays à l'autre.

Telle que définie par Kenneth N. Waltz, la menace existentielle est cruciale pour comprendre les relations internationales et les dynamiques géopolitiques entre les États. Les relations entre Ayiti et la République dominicaine, deux pays partageant l'île d'Ayiti dans les Caraïbes, sont marquées par une histoire complexe de rivalités, de conflits, de différences culturelles, d'antécédents historiques tendus, d'inégalités économiques notables et de conflits liés à la migration. Ces points de friction ont créé une toile de fond pour qu’on puisser percevoir la République Dominicaine comme la menace existentielle potentielle la plus immediate pour la République d’Ayiti.

Au nombre de ces points de friction, il y a d’abord les relations historiques tendues entre les deux pays. En effet, les deux nations ont connu des conflits violents, notamment des conflits territoriaux et frontaliers, tout au long de leur histoire commune. Ces antécédents tendus alimentent la méfiance mutuelle, bien que des périodes de calme relatif aient également été observées. Ensuite, il y a les inégalités économiques. La République dominicaine est économiquement plus prospère qu’Ayiti, créant une dynamique où les Haïtiens cherchent souvent des opportunités économiques en République dominicaine. Cela peut être perçu comme une menace pour la stabilité économique d'Ayiti.

Les différends sur l'immigration, la déportation de travailleurs haïtiens, et les conditions de vie précaires des Haïtiens en République dominicaine constituent un autre point de friction particulier entre les deux pays. À cet effet, l’on se rappelle la décision du Tribunal constitutionnel dominicain2, rendue en 2013, de déchoir les descendants d'Haïtiens de leur nationalité dominicaine. Cette décision a eu un impact significatif sur des milliers d’Haitiens en République dominicaine. Les expulsions massives de travailleurs haïtiens en 2015 ont attiré une attention internationale et ont exacerbé ces tensions. Gabriel (2017)3 estime que “l’Arrêt TC/0168/13 du Tribunal constitutionnel de la République dominicaine, publié le 23 septembre 2013, n’est qu’une autre tentative de légalisation et d’institutionnalisation d’une pratique sociale et culturelle et économique d’exploitation dont la trace remonte à la fin des années 1920”. Nous ne pouvons non plus ignorer que les deux pays partageant l'île d'Ayiti ont des identités culturelles et linguistiques distinctes. La République dominicaine est majoritairement hispanophone, tandis qu'Ayiti est créolophone et francophone. Ces différences culturelles ont contribué aux tensions identitaires et ont même été utilisées dans le Massacre4 des Haitiens en République Dominicaine en 1937 où des milliers d’Haitiens ont été tués pour avoir été incapables de prononcer le mot espagnol perejil.


Il est important de noter que, bien que ces tensions existent et peuvent être considérées comme des facteurs de menace existentielle, elles ne garantissent pas nécessairement une confrontation ou une situation de guerre imminente entre les deux pays. Cependant, elles soulignent la nécessité de la construction d’un discours géopolitique du côté haitien faisant de la République Dominicaine notre première menace existentielle potentielle.
Après tout, la réaction de la République Dominicaine à la construction du canal à Ouanaminthe ne va-t-elle pas dans ce sens?


En effet, la construction du canal d'irrigation à Ouanaminthe, une source de tensions entre Ayiti et la République dominicaine, s'inscrit dans le contexte des relations haïtiano-dominicaines marquées par des antécédents historiques tendus, des inégalités économiques notables, et des conflits liés à la migration. Les tensions autour de ce projet de canal reflètent les rivalités économiques entre les deux pays et les préoccupations liées à la souveraineté, à la sécurité alimentaire et à l'utilisation des ressources partagées. Ces tensions, bien que liées à des enjeux spécifiques, contribuent à la perception de menaces existentielles potentielles, telles que la menace pour la stabilité économique, la sécurité d'Ayiti et la préservation de ses ressources naturelles. La diplomatie et la gestion de ces tensions sont essentielles pour éviter des conflits armés entre les deux pays. Toutefois, en attendant les résultats de la diplomatie, la construction du canal ne s’arrêtera pas. Et, surtout, nous devons commencer par percevoir la République Dominicaine comme une menace à notre existence en tant qu’État-nation.



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1 WALTZ, Kenneth N. (1979). Theory of International Politics, Waveland Press, 263 pages 2 Voir l’Arrêt TC/0168/13 du Tribunal constitutionnel dominicain 3 Gabriel, A. D. (2017). Les sous-entendus de l’Arrêt TC/0168/13 du Tribunal constitutionnel dominicain.
Anthropologie et Sociétés, 41(1), 203–220. https://doi.org/10.7202/1040274ar 4 Arnaud Richard et Renauld Govain, « Schibboleth, la langue comme arme de détection massive: 1937, le massacre des Haïtiens », Lengas [En ligne], 80 | 2016, mis en ligne le 23 mars 2017, consulté le 20 octobre 2023. URL:
http://journals.openedition.org/lengas/1193; DOI : https://doi.org/10.4000/lengas.1193

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Citoyen Ken 25

Sociologue, Maître en études humanitaires

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