Toutes les victimes se valent

Toutes les victimes se valent

Dans le tohu-bohu généralisant d’une crise, se vêtir du politiquement correct doit être traduit par une prise de position aux tendances globalisantes. C’est la dictature du général au détriment du particulier, du ressenti subjectif. Sinon l’étiquette de clanisme, communautarisme est brandie et jette le doute sur ton humanité qui, selon la bien-pensance, doit être sensible à même proportion, simultanément, à toutes les victimes dans tous les coins du pays et tous les lieux de la planète. Les preneurs de position pour la Palestine critiquent ceux qui prennent seulement position pour les violences armées au Congo. On remet en question l’humanité et la justesse des revendications de ceux qui sont plus sensibles à la situation d’insécurité à Laboule plutôt qu’à Village de Dieu ou au bas de la ville.

Ce besoin de m’aligner, cette peur d’encaisser les injures venant de tout bord ont suscité en moi une prudence qui estompe toute expression quant à ce qui se passe à Carrefour en ce moment. Pourtant, cette commune c’est ma chair qui se fait terre. Des zones qui, aujourd’hui, sont controlées par les gangs, ont construit une bonne part de ce que je suis. Du coup, c’est normal que la situation de Carrefour soit capable de m’infliger une plus grande blessure que celle des autres zones. Ça n’amoindrit pas pour autant mon humanité.

Toutes les victimes se valent

On a tendance à universaliser sans diversifier. Cependant le général ou l’universel est un puzzle qui n’a de sens qu’avec une infinité de pièces diverses. Aucun ressenti d’une victime n’est plus important que celui d’une autre, il n’existe pas d’échelle ou une protocole à partir de laquelle hiérarchiser ceux qui sont les plus ou les moins victimes. Clin d’oeil aux gens qui, dans un élan de stupidité, tentent toujours de comparer la Shoah avec l’esclavagisme. Une antipathie teintée par le besoin de monopoliser la victimisation.

Un acte inhumain reste un acte inhumain. Sans vouloir piétiner la mémoire des victimes, mais du moment qu’on se mette à comparer le nombre de gens victimes et la durée pendant laquelle cela s’était produit, on passe à côté de la compréhension de ce qu’est l’essence d’un acte inhumain. Le principe de « la mort d’un homme c’est la mort de l’homme » nous échappe.


Pour finir, l’humain, à l’oeil nu, n’est capable de voir simultanément que trois faces d’un dé alors qu’il possède six. Nos yeux fonctionnent à partir d’un seuil de perception, dépassant ledit seuil, le filtre de la réalité devient inapte. Ainsi ce qu’on voit devant soi qu’on pense qui soit la réalité n’est en effet qu’une perception de la réalité. L’acceptation de notre incapacité à saisir toutes les dimensions de la réalité à partir de notre lieu devrait nous amener à s’approprier la réalité des autres comme les dimensions imperceptibles de notre réalité. Nos réalités se complètent. Et c’est autour de cette complétude continue qu’on doit ériger un bouclier d’humanité pour contrer tous les actes inhumains de notre ère.

Share

J Kendy Clermont 9

Sociologue

Laisser un commentaire

0 Commentaires